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Sérotonine : Trop pudique pour être sincère

Sérotonine : Trop pudique pour être sincère

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J’ai lu Sérotonine. On y goutte de l’intelligence et de l’âme malgré tout, et malgré lui (Houellebecq), malgré l’ennui général qui se dégage du roman, malgré le fonds de commerce de l’écrivain, malgré les ficelles d’un roman trop fabriqué. J’ai l’impression d’avoir écrit un compliment digne du Masque et la Plume… A dire vrai, je me suis ennuyé à lire Sérotonine. Je n’aime pas beaucoup me savoir être manipulé même si c’est pour me donner au final ce que j’aime. Il faut être un gloseur archéologue pour trouver sous le récit fade, un héros engagé, écorché vif, tiraillé entre le bien et le mal, en quête de Dieu à travers l’amour qu’il a ressenti pour une femme. Voilà donc un roman d’amour dissimulé. Mais qu’il est pénible de défricher le tout !

 

Toute littérature est politique même et surtout si elle le nie
Faisons tout d’abord une petite incursion vers le politique, puisque Houellebecq est désormais aimé pour ça, tout en faisant mine de ne pas y toucher bien sûr. Ecrivain sainte Nitouche qui campe un héros blasé comme d’habitude, indifférent à la marche du monde comme d’habitude. Et pourtant ce Florent, héros de Sérotonine, est le canada-dry du désinvolte puisque tout de même sa réussite professionnelle, son zèle à rédiger des rapports remarqués sur l’agriculture du pays, au-delà de traduire un attachement à sa propre réussite, traduit un intérêt pour l’économie enracinée, pour le terroir, et un combat contre le triomphe de la société globalisée du libre-échangisme. Le héros consent d’ailleurs à la fin : « Toujours est-il que j’avais eu des idées, … » ; « Qui étais-je pour avoir cru que je pouvais changer quelque chose au mouvement du monde ? » (p251). Un combat qui entre en résonnance avec les crises du monde occidental qui voit s’écrouler toute croyance en la société libérale mondialisée, via gilets jaunes, Brexit, etc. C’est que l’écrivain écrit toujours dans la marge du monde et sait donc en tâter le pouls. Il sait d’ailleurs également percevoir en quoi la crise sociale d’aujourd’hui, qu’il campe dans son roman dans le monde agricole, parce qu’elle est une révolte de la faim, peut finir dans un bain de sang. On lui reproche juste de nous donner un héros non crédible sur ce premier point. Un héros indifférent à la marche du monde mais qui a posé des choix dignes d’un militant. Cette contradiction montre une volonté de Houellebecq de ne pas assumer la nature politique de toute littérature, y compris la sienne, et de rester fidèle à sa marque de fabrique pour fidéliser son lectorat.

 

Un Houellebecq en quête métaphysique ?
Le ton est donné dès le titre du roman portant le nom d’un neurotransmetteur qui serait un déterminisme de l’humeur et donc de l’être… Le héros de Sérotonine est en dépression avec un sentiment âpre d’avoir raté sa vie, et pire, en revivant ses bonheurs passés, de l’avoir gâchée. Il voit les années d’études comme l’âge des possibles et « La vie d’adulte ensuite, la vie professionnelle n’est qu’un lent et progressif enlisement. » (p 148). Les amours et les amis de jeunesse qu’il revoit les uns après les autres sont les « témoin des espérances déçues ». Tout dans le style de Houellebecq veut nous faire croire à un héros passif, qui s’est laissé « s », dépressif de toute éternité, indifférent à tout, simplement nostalgique d’une libido plus dynamique avant, alors que tout, dans ce qui est véritablement écrit, tend à montrer un écorché vif, un homme en crise existentielle et en quête métaphysique. S'il a des espérances déçues, c’est que le jeune homme a été plein d’espérance. Son acédie n’est que le revers d’un homme plein de foi. Tout ça est dissimulé par l’écrivain qui obstinément s’échine à éclipser la grâce et étaler l’insipide frôlant le mauvais goût permanent.
Le héros s’enfonce donc dans son passé pour se relire, ce qui permet au passage à l’écrivain de tout de même nous raconter une histoire, le héros s’engloutit dans son passé par renoncement à tout avenir. « Ce n'est pas l'avenir c'est le passé qui vous tue. » (p 280). C’est comme une volonté de tout récapituler avant la fin, de vérifier d’avoir existé. Avoir existé lui permettra de ne plus être. « J’aurais aimé en réalité ne plus avoir de corps » (p 92).
La vérité, comme nous l’avons dit, est que le héros est un écorché vif, dont le cri existentiel reste étouffé par coquetterie et pudeur à la fois, par l’écrivain tant attendu par son public. Florent-Claude Labrouste, en réalité, butte sur son incarnation et surtout sur ce simple scandale de la prédestination à la mort quand on a l’intuition d’être fait pour l’éternité, la transcendance… « J’ai toujours eu du mal avec la mort. » (p 187). Mais il fallait le dire plus tôt que c’était ça le problème ! Ce n’était pas la peine de nous parler de zoophilie, de pédophilie avec un dandysme blasé pour en arriver là ! Le Houellebecq est un animal religieux comme nous tous. Il aura donc écrit un vrai roman le jour il acceptera dans une chair le tiraillement entre le bien et le mal dans une volonté de se relier à l’invisible.
« Qui n’a pas le courage de tuer, n’a pas le courage de vivre. » (p 238). Florent pense ne pas être parvenu à tuer à cause d’un conformisme -du moins Houellebecq veut nous le faire croire-, alors que tout montre, dans sa quête amoureuse et dans sa construction politico-professionnelle qu’il est un être épris d’idéal… Finalement, Houellebecq est resté figé dans le ressenti de son gargouillis de Rocamadour, devant la statue de la Vierge dans Soumission : il est à deux doigts de se convertir et un gargouillis le fait redescendre et cheminer ver la soumission à l’islam pour le confort et la jouissance sans état d’âme.
Il faut savoir lire Houellebecq comme un archéologue fouille un tas de cailloux pour discerner l’essentiel. Sans doute est-ce ce qui donne tellement de fierté aux gloseurs du maître dont je fais partie. Un blues sort de façon explicite au milieu du roman, une adresse blasphématoire à Dieu, qui est une preuve de foi et d’espérance non tarie : « Dieu est un médiocre, tout dans la création porte la marque de l’approximation et du ratage, quand ce n’est pas celle de la méchanceté pure et simple. » (p 181). Il en veut à Dieu pour son malheur, sa souffrance, sa difficulté d’être. Autant dire qu’il prie. Et le final est grandiose en la matière, quand le Florent comprend avoir reçu tant de signes, tant de grâces et d’être responsable de n’en avoir rien fait : « Et je comprends, aujourd’hui, le point de vue du Christ, son agacement répété devant l’endurcissement des cœurs : ils ont tous les signes et ils n’en tiennent pas compte. Est-ce qu’il faut vraiment, en supplément, que je donne ma vie pour ces minables ? Est-ce qu’il faut vraiment être à ce point explicite ? Il semblerait que oui. » Quel dommage de devoir s’ennuyer pendant autant de pages pour enfin en arriver là. On aurait presque envie que Houellebecq écrive enfin une histoire, maintenant qu’il a enfin posé le sujet.

 

Un roman d’amour pudique
Houellebecq dit lui-même de Sérotonine qu’il est un roman d’amour et il a raison. Du pur amour, de celui qui donne un sens à la crise métaphysique justement, de celui qui oriente toute une vie. « L’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir la foi. » (p 180).
Florent a été amoureux au moins deux fois et il a cru l’être d’autres fois. Il reste au soir de sa dépression éperdument épris de Camille. Il le ressent : « Une évidence pénible, atroce et létale, que j’aimais encore Camille. » (p 224). Et c’est la pudeur qui amène Houellebecq à nous gaver avec du porno. Le reflet d’une époque ? Non, le sentiment amoureux a toujours été ressenti dans la chasteté la plus pure. Personne ne rêve de l’anus de son amoureuse ! La vérité est que le sentiment amoureux nous fait ressentir en miniature ce que nous désirons au cœur de notre crise métaphysique, l’amour éternel, inconditionnel etc. Le sexe souille ce sentiment à moins lui-même d’être sublimé dans la poésie et la fidélité. Car l’amour purifie. Florent le sait. Rien qu’à entendre la voix d’une femme, de la femme aimée, celui qui a « trahi l’amour » se sent « aussitôt lavé de toute souillure, de toute déréliction et de tout du mal » (p 100).
Il y a donc chez Houellebecq une volonté de dissimuler derrière un style qui salit le lecteur, une forme romantique, un personnage amoureux. Une volonté de tout gâcher ? Le meilleur moyen serait sans doute de revenir à la poésie. Décevoir est un art. La narration le supporte mal. A la fin, nous savons que le roman valait la peine d’être lu puisqu’il nous reste cet homme à qui le médecin dit en synthèse : « J’ai l’impression que vous êtes tout simplement en train de mourir de chagrin. » (p 316). Mais quelle peine pour le lire !

 

STOP
Est-ce si difficile d’accepter une grandeur d’âme ? Est-ce si difficile de ne pas mentir pendant 300 pages au lecteur ? Est-ce si difficile de respecter le lecteur ? Est-ce si difficile de ne pas faire de son nom un produit, une marque de fabrique. Il serait temps que Houellebecq tente de ne pas faire du Houellebequisme. Nous ne pouvons pas croire à des romans pourris par l’exercice de style. Je ne veux pas entrer dans un jeu de piste quand j’entre en lecture, je veux entrer dans un monde. Nous faire croire à la nature a-sociale d’un homme qui a fait carrière sur la base d’idéaux ! Nous faire croire à la nature fataliste d’un écorché vif ! Causer porno pour décrire le sentiment amoureux ! On n’y croit pas. Ça ne marche pas. Ça ne sert qu’à gloser comme nous venons de le faire. STOP. Sérotonine est trop pudique pour être sincère !


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