Dans la bibliothèque de Marc Fumaroli
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L’académicien Marc Fumaroli, décédé il y a peu, nous laisse son livre testament : Dans ma bibliothèque, la guerre et la paix. Autant dire que le risque est grand de devoir gravir les montagnes les plus escarpées de l’érudition en côtoyant cet ouvrage. Prenons ce risque le temps d’une chronique. Fumaroli se veut rassurant : « Je ne prêche pas l’encyclopédisme des Lumières, nous dit-il, qui serait démesuré aujourd’hui, mais une juste mesure de savoir éclectique, tenant compte de la pluralité des mondes où prospèrent le réel et le vivant ; tourbillon n’est ni désordre ni confusion. Mais il veut tenir compte de l’ambiguïté de l’être et des êtres terrestres, que trahit l’esprit de géométrie et que respectent les arts et la science du temps, littérature, arts du dessin, musique, biologie. »
Notre érudit s’interroge, au seuil de sa mort, sur l’ambivalence de l’Europe et du monde : « J’ai lu et relu plusieurs fois, en pensant aux pressentiments maternels, les Regards sur le monde actuel de Paul Valéry publiés en 1931, tout frémissants de pressentir l’inexorable retour de la fatale asymétrie européenne entre son génie lumineux dans la paix et sa passion aveugle pour l’autodestruction dans la guerre. » ; « La « montée aux extrêmes », depuis les guerres napoléoniennes et le répit qui les suivit, reprit son ascension meurtrière : tour à tour, le siège de Sébastopol (1854-1855 : dont Tolstoï fut acteur et chroniqueur), la guerre de Sécession américaine (1861-1865), la guerre franco-allemande (1870-1871), la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902), la guerre russo-japonaise (1904-1905), ne cessèrent d’augmenter le nombre des combattants, la dimension des massacres et des destructions, préparant par des voies partielles aux « guerres totales » de 1914 et 1940, les premières à mettre en œuvre l’aviation de combat puis de bombardement. »
Dans un concert de violences et de tensions qui n’ont jamais cessé de croître, quel risque peut-il y avoir d’un conflit généralisé ? « L’arme atomique a condamné le monde « post-moderne », en l’absence de troisième Guerre mondiale, à un éparpillement de violentes guerres locales qui déclenchent la fuite en masse de civils vers les régions de paix et de prospérité, lesquelles répugnent de plus en plus vivement à subir passivement une déstabilisation irréparable. » Rappelons utilement que les grandes transhumances migratoires sont autant dues aux guerre éparses qu’évoque Fumaroli qu’au postulat idéologique du multiculturalisme matérialisé récemment par le Pacte de Marrakech et promu par toutes « les grandes consciences droit de l’hommistes ». Et qu’elles généreront à coup sûr le chaos.
L’ambivalence génie/autodestruction des Etats trouve une expression dans le domaine de l’art qui lui-même oscille entre « décoratif « rocaille », arabesques et arborescences, exotismes et archaïsmes, acceptable en temps de paix dans le salon, le boudoir et le parc, et « retour à l’antique » ou « retour à la grecque » » ; « Cette corrélation pour temps de guerre entre grandeur de l’Etat et grandeur du style académique dans les arts avait eu lieu sous Louis XIV, elle avait rompu cette symétrie pendant le règne de Louis XV, mais elle ne fit que croître et embellir sous la Convention, le Directoire, le Consulat et s’épanouir dans toute sa splendeur européenne dans le sublime militaire de l’Empire guerrier de Napoléon ! »
Sur la variation des contraires, des couples comme masculin et féminin, travail et oisiveté, vigueur et mollesse, voilà quelle est la conviction muant en leçon de notre académicien : « Pour le couple guerre et paix, lui-même variable, entre grande ou petite guerre, longue ou brève, juste ou injuste, chaque nation se raccorde aux couples de qualités qui lui conviennent. C’est ainsi que la guerre, oubliant sa férocité sanglante, peut se vouloir le terrain idéal de la gloire militaire, mais inversement, grâce à la réversibilité propre au lieu commun, l’exaltation de l’état de paix, de ses plaisirs, de sa fécondité, de la floraison des arts, tous ces avantages se retournent en menaces contre, à plus ou moins court terme, l’intégrité des vertus guerrières indispensables à la sécurité des nations. Tous les lieux communs se tiennent. Il est clair que dans une époque comme la nôtre où la « grande guerre » est devenue impossible ailleurs que dans l’espace lointain, du fait de l’équilibre de la terreur globalisée, les hommes et les femmes doivent échanger leurs traits distinctifs de caractère sous pression de l’esprit du temps. »