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François Cassingena-Trévedy, écrivain et moine

François Cassingena-Trévedy, écrivain et moine

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François Cassingena-Trévedy est écrivain, ancien élève de l’ENS et moine bénédictin au monastère de Ligugé dans la Vienne, plus vieux monastère en activité d’Occident avec ses 25 moines, fondé en 361 par Saint Martin de Tours. Son ouvrage De l’air du temps au cœur du monde compile des chroniques écrites au cours d’une période de cinq années pour la revue Etudes. Il y disserte de façon gourmande et élégante sur l’actualité, la petite et la grande, et tente de concilier l’incarnation de notre condition humaine avec sa dimension transcendante.

« Le siècle nouveau -dont on avait salué le millésime avec tant d’enthousiasme- semble avoir passé les bornes au-delà desquelles l’enchantement n’est plus possible. Car ce sont les capacités d’enchantement qui sont atteintes en nous, comme si les cellules affectées à cette fonction vitale, ne parvenaient plus à se renouveler dans l’organisme de l’homme intérieur ». On croit ici entendre les paroles bernanosiennes de La France contre les robots, recueil de textes publié en 1947 fustigeant la société industrielle : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » Cassingena-Trévedy affine sa diatribe : « A la menace terroriste, ajoutons la pantomime d’une classe politique dont le mode de reproduction s’apparente à l’endogamie et dont l’instinct de conservation fait tout le programme, la révélation retentissante des sanctuaires de la vénalité individuelle ou collective, l’exhibition féroce du linge sale qui s’attache aux grands corps institutionnels, la démolition préméditée de la culture héréditaire qui rendait l’homme à la fois sensible et résistant, la proscription des mots, des images, des chefs d’œuvre qui permettaient de mettre du chant dans la souffrance et la mort même, l’extinction ou l’absence de grandes voix toniques et roboratives que peine à compenser la badauderie incertaine des mille et une "Nuits debout"… »

Dépourvus de la capacité d’enchantement, cernés de laideur, nous ne nous émerveillons plus et nous ne rêvons plus. Le matérialisme a établi son nid en nous. Notre moine bénédictin par la qualité de sa plume nous octroie une fenêtre ouverte vers l’espérance et les champs lumineux, vers la défense d’une beauté irrépressible dans l’homme, en dépit de la superficialité ou de la banalité criante de ses occupations : « Le contemporain, comme phénomène consistant et non comme phénomène volatil, comme question éternelle et non comme écume des jours, comme monde et non comme mode, le contemporain demande qu’on l’épouse avec ponctualité, en entrant soi-même humblement, activement, dans le dessein d’une immense philanthropie divine et ecclésiale. Décidément, il n’est pas bon que l’homme soit seul. » S’il faut, pour notre religieux, être au monde, sans préciser si c’est « du monde » ou « dans le monde » qu’il s’agit, il est vital d’y rechercher des oasis de silence, une « anachorèse créatrice » : « Le mouvement de retrait réfléchi que les Anciens avaient baptisé du beau nom d’anachorèse, où il se découvre tellement d’horizon et où il s’entend tellement d’espace, n’est pas un épisode exceptionnel dont quelques réfractaires auraient l’apanage : c’est -ce devrait être- l’exercice régulier de chacune de nos journées, la moitié de l’horaire de nos marées intimes, la diastole indispensable à notre rythme cardiaque. » Procéder à un carême de silence pour « participer à une certaine création du monde » et ainsi, par ce retirement, apporter à notre prochain « cette modeste immensité que l’on devient ».

Sur l’usage des réseaux sociaux, notre moine poète maintient le cap exigeant de la quête du bien, du sens, de la signification bienveillante : « Ouvrir et entretenir une « page », c’est être responsable. Le protocole du réseau, avec ses actes spécifiques (« inviter », « exprimez-vous », « j’aime »), demande à être noyauté, transfiguré, saturé de sens. Car il y a, dans cela, oui, dans tout cela aussi, place pour un évangile : non pas celui que brandit une apologétique conquérante, mais celui qui transpire insensiblement des mots que l’on commet, des images que l’on expose, de la tenue que l’on observe. Il faudrait que la « page » dépayse et repose ceux qui s’y font passants. Qu’elle soit une espèce d’éclaircie. Au demeurant, certains de ceux qui mordent à l’appât ne s’y trompent guère. Et c’est ainsi que, de l’amitié virtuelle, l’on voit jaillir parfois l’amitié véritable. Car il n’est point d’ami qui ne soit un mendiant. » François Cassingena-Trévedy appartient sans aucun doute à la caste des doux et humbles de cœurs -ce qui n’exclut pas la fermeté matérialisée par les vœux définitifs que prononce le moine-, à la race de ceux qui espèrent envers et contre tout, voient au-delà de la pauvre apparence. Gabriel Marcel, philosophe de l’existentialisme chrétien, parlait de « morsure du réel ». Notre religieux, lui, interroge : « Rions de notre manie (Molière nous eût sans doute aidés aujourd’hui à en rire), mais avec indulgence, et peut-être avec compassion. Car nous sommes en manque. Chercherions-nous si passionnément la dure écorce du réel, si elle n’était la seule à pouvoir nous prodiguer la caresse la plus sensible et la plus nécessaire dont nous avons besoin ? »

Bien sûr, la badinerie et la légèreté irriguent joyeusement de nombreuses chroniques de l’ouvrage, lorsqu’il s’agit de traiter de « la fessée à la fessée », « la cellophane ou le ciel », « le signe de l’Emmanuel ? », « l’éloge de la barbe ». L’auteur manie plaisamment trait de plume et trait d’humour : « Regardez ! La barbe court, elle couve partout, elle ombre autour de nous tous les traits. Sa végétation envahit le visage de la multitude plus promptement que le gazon ne lève après l’ondée. »

Ici et là, par vagues successives et clapotantes, les accents bernanosiens refluent de nouveau et épinglent l’époque devenue ce rouleau-compresseur qui broie les esprits dès l’enfance : « L’inexorable avancée d’une civilisation technique et, surtout depuis près de cinquante ans, l’orientation concertée des programmes scolaires et des études supérieures, nous ont systématiquement déshérités de ce que l’historien Thucydide appelait « un trésor pour toujours », nous ont désaffectés, en somme, de cet espoir raisonnable d’éternité que nous offrait l’antique. Nous sommes devenus des Hilotes, des métèques, des barbares, mais sans que l’on puisse envisager désormais quelque Renaissance susceptible de rendre à l’héritage gréco-latin une prégnance et une vitalité comparables à celles qui avaient signalé les Renaissances du VIII° et du XVI° siècle. […] Au vrai, quelle tristesse, quel ennui, quelle malchance que de vivre sans s’être jamais embué de larmes aux adieux d’Hector et d’Andromaque, sans avoir vibré aux chœurs d’Eschyle et de Sophocle, sans avoir accompagné Socrate dans sa promenade au bord de l’Ilissos, sans avoir bavardé avec Cicéron dans ses jardins de Tusculum, sans avoir entendu les quatre saisons des Géorgiques de Virgile, sans avoir appris d’Epictète et de Sénèque les maximes de la vie intérieure, sans avoir pénétré les grandes dramaturgies collectives avec Tacite, et puis (parce que l’histoire continue et que les langues dites mortes sont en réalité la clef d’un paradis) sans avoir applaudi à la verve splendide de Tertullien, sans avoir célébré les heures avec Prudence, sans avoir prié les psaumes avec Augustin ! »

Les fossoyeurs du monde d’avant ne sont pas exemptés des questionnements du moine justicier et thuriféraire de la grandeur de l’homme : « Mais vous, qui êtes-vous, bricoleurs du néant […] Nous entendez-vous ? Avez-vous une voix pour nous répondre ? Seriez-vous les premiers spécimens -inattendus et sinistres- de cette humanité « transhumaine » dont d’aucuns prophétisent l’avènement avec béatitude ? »


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