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Jérôme, tout au bord

Jérôme, tout au bord

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« Nous sommes fichus, l’époque est fichue. » Ca vous parle ? Moi oui. Jérôme, tout au bord, roman de Clotilde Escalle publié aux éditions Les fables Fertiles raconte l’histoire de Jérôme Veulin. Après la disparition de sa mère, il vit à une campagne peu accueillante qui rétrécit le champ du possible. Il vit là « Comme si le matelas de la mère contenait des ossements, comme si la maison était une sépulture. » Il vit dans ses rêves, ressasse des souvenirs, cultive de vieilles utopies. Il écrit de temps à autre ce qui lui passe par tête sans jamais chercher à achever sa pensée d’ailleurs : un etcetera récurrent lui tient lieu à la fois d’achèvement et de droit de suite. S’agirait-il d’essayer de thésauriser pour comprendre ? Allons donc ! « Les cartes postales sont toutes à déchirer. »

Avant la campagne Jérôme fut à Paris où il s’essayât au théâtre et sa bouche a encore le réflexe de prononcer Artaud ou Michaux, et ses yeux ont encore le réflexe de fixer cette ligne d’horizon fictive au-dessus des fronts, et sa pensée se porte encore sur la complice qui joua Phèdre. Voilà ce théâtre de l’impossible confronté au réel toujours plus vide autour de lui.

Son refuge s’appelle la ressourcerie… Il menace de perdre la tête si on la lui enlève… Comme si ce n’était pas déjà en cours. Il s’agit d’une sorte d’Emmaüs où s’entasse les objets de ceux qui ont déjà vécu. Comme dirait Barbara : « les choses ont leur secret, les choses ont leur légende, mais les choses murmurent si nous savons entendre… » Son refuge est donc une impasse. Il s’agit de s’attacher au dérisoire, au peu… pour détenir quelque preuve… de quoi ? de vie, de vécu ? « Faut faire attention aux objets. Ils portent en eux des vies en allées. » Ce vide grenier lui sert un peu à trier son âme.

Jérôme a quelques échanges brefs avec ses voisins épars, des fragments de dialogues où s’unissent des détresses inavouées, des questions sans réponses, et des réponses inutiles aux questions non formulées. Misère commune faite de vanités. Être au jour le jour, vivre à la petite semaine : se regarder vivre aboutit toujours à l’absurde. « Je suis fait de vide» dit-il. D’ailleurs, le cœur de sa vie est un creux : il a « Envie d’écrire une lettre mais il ne sait pas à qui. »

Et pourtant, est-ce si difficile de se prolonger ? « Fais un homme de toi » lui disait son père… Tu parles ! Quand on est Jérôme tout au bord, c’est trop tard. Il a juste « Envie de hurler dans la vastitude du néant. » Reste encore et toujours le cri d’Artaud pour prouver que l’on n’existe, cri lancé… pour soi-même uniquement.

Fidèle à la ligne éditoriale des fables fertiles, Clotilde Escalle incorpore une douce et mordante poésie à sa narration : « Il esquisse un sourire, la tête de pierre s’abandonne sur l’épaule. » « Je viens de ce murmure et de cette brise, et les ailes de la chouette dans les ténèbres m’effleurent et me font un court instant exister. » Nous pourrions qualifier la narration d’immersive. C’est la mode… On avance dans le livre comme à tâtons, au travers d’un brouillard, en faisant confiance à l’écrivain. Des bribes d’informations nous sont offertes au travers des cogitations du héros. Le puzzle se reconstituera, et nous seront la dernière pièce.

Jérôme, tout au bord, Roman de Clotilde Escalle, Fables fertiles, 206 pages, 18,5€


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