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La religion du multiculturalisme selon Bock

La religion du multiculturalisme selon Bock

Par  

Mathieu Bock-Côté, sociologue et intellectuel québécois, continue de tracer tranquillement son sillon. Observateur avisé de notre pays, il nous offre un livre majeur aux Editions du Cerf intitulé Le multiculturalisme comme religion politique, où il décrit les ressorts historiques et sociaux qui ont prévalu au présent avènement du règne absolu du droit de l’individu et à la disparition de tout ce qui nous fondait en tant que civilisation occidentale. L’Occident judéo-chrétien construit sur Rome et sur Athènes s’est transformé en Occident diversitaire : « Notre époque, lorsqu’elle cherche à définir son horizon historique, se réfère à l’éthos de la diversité identitaire […] les années 1960-1970 marquent la naissance d’une civilisation différente de celle qui l’a précédée. On les associe à l’idéal d’une société progressiste, transnationale et multiculturelle, à la sensibilité contestataire portée par la mouvance contre-culturelle. » Immédiatement dans le vif du sujet et sans langue de bois, notre auteur explique qu’avant nous avions le racisme, le sexisme, l’homophobie, le patriarcat, l’islamophobie, la xénophobie, l’intolérance et qu’aujourd’hui, éclairés par quelque lumière issue du XVIIIème siècle, nous sommes enfin devenus favorables aux immigrés, à l’émancipation des femmes, des homosexuels, aux groupes identitaires marginalisés. De fait, tout conservatisme qui contesterait cet aggiornamento fait a minima l’objet d’une pathologisation, ou plus systématiquement, d’une anathémisation sous les termes de « fascisme », « heures les plus sombres de notre histoire », « atteinte aux valeurs de la République » ... La gauche multiculturaliste et internationaliste ainsi que la droite moderniste « qui chante la rédemption du genre humain par sa conversion au marché mondial » peuvent se présenter en thuriféraires de la « la religion de l’humanité ». L’idéal égalitaire a fini par triompher et nous a portés à une sorte de « servitude enthousiaste ». Pour Bock-Côté, une nouvelle gauche est apparue, issue de la crise du marxisme, ressuscitée de ses cendres grâce au renouveau multiculturaliste. Le recours à une terminologie religieuse n’est pas fortuit car l’on voit bien que ce processus historique et social se dénoue dans le couple mort/rédemption. L’Europe, plus qu’une construction qui maintiendrait la paix entre ses peuples, est le réceptacle choisi pour « accueillir le projet diversitaire » car « elle se définit par la référence à des principes universalistes (elle a d’ailleurs refusé de considérer publiquement ses racines chrétiennes) et ne se connaît aucune frontière géopolitique définitive ».

Mathieu Bock-Côté nous dit que les vainqueurs des sixties ont encore une revanche à prendre, une « catharsis pour un changement d’époque » à opérer selon le sociologue Jean-Pierre Le Goff commenté pour Mauvaise Nouvelle. Inversement, des chroniqueurs et intellectuels conservateurs s’apitoient sur le « suicide français », « l’identité malheureuse » et « l’avènement d’une société dénationalisée, vidée de traditions et confuse dans son rapport à l’autorité, où l’école ne transmettrait ni la culture, ni la connaissance pour diffuser plutôt le relativisme et la haine de soi, où la famille se fragmente même si une certaine sociologie se contente d’enregistrer la multiplication des modèles familiaux, où les sexes perdent leurs repères et courent vers l’indifférenciation, où le mouvement démographique accélère une immigration difficilement assimilable sur le plan culturel et économique, où l’esthétique de la transgression dénature l’expérience artistique, où la souveraineté est confisquée par un dispositif techno juridique qui désinvestit la démocratie de toute signification véritable. Une société, finalement, qui livrerait l’homme à lui-même, qui en ferait une espèce appauvrie, à l’âme désarmée. »

Jacques Ellul dans Trahison de l’Occident a bien analysé ce qui fonde la contre-culture des soixante-huitards appliqués à déconstruire méthodiquement la civilisation telle qu’elle existait jusqu’alors, parce qu’elle ne laissait pas de place à l’Autre, ce déshérité, cet opprimé minoritaire, pas de possibilité à l’alternative diversitaire, parce qu’elle se fondait sur la figure du mâle blanc hétérosexuel et sur un modèle culturel dominant désormais rejeté : « Nous devenons les iconoclastes de tout ce que fut l’Occident. Tout fut mauvais, et il faut tout détruire. » Tout détruire pour recréer le monde par le geste démiurgique de l’homme auto-engendré, c’est-à-dire parvenu au stade final de son émancipation, ultime graal du progressisme. Faire advenir ce monde polymorphe et multiculturel, aboutissement du projet maçonnique d’une « religion de l’humanité » débarrassée de Dieu, revient à écrire désormais l’histoire ex-nihilo, autrement dit, à ne vivre que dans un présent omniprésent affranchi du passé. A toutes fins utiles, notre auteur nous rappelle qu’Alexis de Tocqueville, dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, avait tout vu et décrit le caractère intrinsèquement aliénant et tyrannique de la démocratie : « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres… » Edifiant, il faut relire chaque mot lentement pour mesurer la parfaite exactitude de sa prédiction. Alain Besançon quant à lui, revenant sur mai 68, a des accents tocquevilliens : « Le fait déterminant est la chute d’autorité. Principalement de l’autorité qui s’exerce de personne à personne. Celle du professeur sur l’élève, du patron sur l’employé, du médecin sur le malade, de l’évêque sur le prêtre, du mari sur la femme, du père sur l’enfant […] la démocratie cantonnée jusque-là dans l’ordre politique déborde et s’étend à toutes les relations qui structuraient la société par le principe d’autorité. ». Mai 68 a donc hérité de la logique égalitaire de la Révolution Française et « l’a actualisée en l’appliquant aux relations sociales ». Sa dialectique libertaire a engendré la « figure de l’individu auto-référentiel, hors-sol, délivré de tout rapport de filiation, et ne se reconnaissant aucune dette à l’endroit de l’héritage qu’il a reçu et de la communauté politique qu’il habite ». L’idéologie postmarxiste promeut les différentes luttes identitaires et déploie son credo du combat contre toutes les discriminations. L’orientation de la gauche progressiste et terra-noviste, dès 2011, se déplace définitivement du terrain économique vers le sociétal (ce qui était une tendance lourde depuis mai 68) afin de, nous dit Bock-Côté, « refonder la citoyenneté occidentale, en dépassant l’égalité de droits entre tous les citoyens pour envisager l’égalité entre les groupes, les inclus et les exclus, pour déconstruire les logiques discriminatoires visibles ou invisibles, en refusant systématiquement d’établir une norme qui s’impose à tous du centre de la société ». Perspicace, l’auteur affirme que cette stratégie de la gauche terra-noviste n’était pas une option parmi d’autres possibles mais bien « l’aboutissement presque naturel d’une philosophie politique qui a voulu transformer en profondeur la vision dominante de la civilisation occidentale ».

Il faut infiniment remercier notre intellectuel québécois qui explique brillamment, limpidement, les ressorts de la déconstruction et de l’avènement de cette société multiculturelle, qui décortique la relecture faite de notre histoire par le tropisme de la repentance, le façonnage des jeunes esprits à l’école pour leur inculquer la détestation de leur culture, la culpabilisation rétrospective, l’utilisation progressiste des lois mémorielles, l’adoption par les européens de « la Shoah pour sa vocation pédagogique universelle » justifiant la figure du musulman comme nouveau juif. Autant de vecteurs de translation vers cette nouvelle civilisation, ce nouveau monde. La société multiculturelle ainsi créée de toutes pièces est l’accomplissement du progressisme de gauche issu des Lumières. Elle se drape du voile soyeux de la morale, et sa finalité humaniste puis eschatologique lui confère l’indispensable caractère religieux. Car il ne peut y avoir rien de mieux après. Le multiculturalisme est cette religion politique visant au remplacement de la civilisation occidentale et ambitionnant de durer mille ans. Elle éclatera plus sûrement avant comme toute bulle idéologique fragile et superficielle. Non sans préalables et terribles dommages collatéraux.


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