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Le monde d’après… la littérature

Le monde d’après… la littérature

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Le nouvel essai d’Alain Finkielkraut, L’après littérature, était attendu. Comme chacun des ouvrages du philosophe médiatique défenseur de la littérature bien sûr, de la culture et plus largement de l’identité française. C’est pour le lecteur l’occasion de plonger dans les séquences qu’affectionne l’académicien : les ravages de l’antiracisme, la stigmatisation et la haine de l’homme blanc en Occident, l’antiélitisme des élites, la déculturation, la folle impunité des minorités ethniques ou sexuelles missionnées pour incarner le monde nouveau, celui de la world culture et de la diversité, qui se livrent à toutes les provocations, forfaits et crimes, la lente et inexorable islamisation de la France… Nous baignons désormais dans le monde de l’extrême simplification, de la binarité des choses, du manichéisme qui efface la complexité, les singularités, l’essence et le sacré de la transcendance. Un monde plat voué au marché et au droit, confronté au choc en cours des civilisations. Ecoutons donc Finkielkraut.

« Il n’y a plus de place pour le monde de perplexité, d’ambivalence, d’ambiguïté où nous fait entrer la littérature. L’heure est même à la correction des œuvres littéraires. On ne lit plus, on réprimande et on rectifie. » L’auteur continue inlassablement, lui, de citer ses auteurs fétiches Philip Roth et Milan Kundera, et tant d’autres, Proust, Houellebecq, les classiques Homère, Virgile, Platon… Il croit bien sûr encore aux bienfaits de la littérature sur l’homme même s’il ne se leurre pas et sait qu’elle s’efface peu à peu, attaquée par les idoles modernes que sont l’image et l’internet.

Concernant la place des femmes dans la société, notre auteur ne mâche pas ses mots et se situe à rebours des positions féministes radicales : « Le journal Le Monde a mis en place une task force de quinze journalistes pour dévoiler les ramifications d’un « sexisme systémique », alors que jamais dans l’histoire de l’humanité les femmes n’ont été aussi libres qu’aujourd’hui en Europe occidentale, et si les choses changent demain, cela tiendra à la déseuropéanisation de l’Europe. » Il étoffe son argumentation en citant la missionnaire américaine Ruth Woodsmall qui vécut de nombreuses années en Turquie et qui, en 1936, écrivait : « Lorsqu’un Oriental se rend dans un pays occidental, ou lorsqu’un Occidental se rend dans un pays oriental, ils sont extrêmement conscients qu’ils franchissent une barrière sociale plus tangible qu’une frontière géographique, ou qu’une différence de langue, de nationalité ou de race. Les organisations sociales de l’Occident et de l’Orient reposent sur des principes radicalement opposés. La différence primordiale concerne la place réservée aux femmes. » Pourquoi s’évertuer à nier cela dans les cénacles politique, médiatique et universitaire ? Pourquoi vouloir imposer dans l’espace public le modèle de la femme arabo-musulmane à une femme occidentale qui possède d’autres codes culturels ? Pourquoi cette déconstruction de nos valeurs et de nos fondements civilisationnels ?

Finkielkraut assure à juste titre que depuis les analyses de Ruth Woodsmall le fossé s’est encore creusé entre, d’un côté, la poursuite irréversible de la révolution démocratique et, de l’autre, le réveil inattendu du fondamentalisme islamique : « Et, comme en bonne morale rousseauiste il ne saurait être question de stigmatiser les dominés, on s’interdit désormais de juger l’autre que soi et on se polarise, avec une vigilance hypertrophiée, sur les « stéréotypes haineux » de la civilisation occidentale. » On pourrait compléter en disant que c’est le reniement de ce qu’est l’Occident en tant que civilisation qui permet la submersion de cet Occident par d’autres cultures plus affirmées dans leurs dogmes et leurs intentions colonisatrices. Précisions encore : c’est en rejetant les valeurs chrétiennes, mais aussi la subtile combinaison immanence transcendance, en s’inventant un monde athée, matérialiste et adorateur du Progrès technique, dépourvu de sens, vide et ouvert à toutes les influences, que le monde occidental s’est inoculé le poison de la décadence et a signé son arrêt de mort.

Pour s’assurer d’obtenir un vide total, il a ainsi développé les concepts de wokisme et de cancel culture. Être éveillé pour haïr totalement sa propre culture et mettre en place le processus de l’effacement sont les deux mamelles du projet d’autodestruction qui l’anime. « Aux Etats-Unis, sous la surveillance constante d’étudiants aux aguets, les professeurs sont obligés d’actionner un trigger warning (« avertissement de contenu choquant ») quand ils abordent Euripide ou tout auteur susceptible de heurter la sensibilité des femmes, des Noirs, des Amérindiens, des musulmans, ou de celles et ceux que l’on nomme gracieusement les LGBTQIA+. Les white males hétéronormatifs n’ont qu’à bien se tenir. Les Etats-Unis se répandent hors de leurs frontières. Le politiquement correct s’est mondialisé. »

Pour la future élite euro-américaine, Platon et Aristote, Homère et Virgile, Dante et Kant, Michel-Ange et Beethoven « inculquent aux membres de la race dominante un tel sentiment de supériorité qu’ils en viennent à se croire tout permis ; il est urgent, pour réduire la violence dans le monde, de leur rabattre le caquet. » ; « La nouvelle élite est cool et ne s’intéresse à son patrimoine que pour en faire un avant-goût punchy de la world culture, une prémonition du rock et du rap, en somme. Cette élite connectée, qui se croit européenne parce qu’elle se sent plus chez elle à Berlin et à Milan qu’à Limoges ou à Valenciennes, concourt activement à l’enterrement de l’Europe. »

Il est indispensable de souligner avec l’auteur qu’il y a aujourd’hui une progression de la laideur dans notre monde. Laideur morale bien sûr mais aussi laideur esthétique dont les éoliennes, contraires à toute authentique écologie, sont l’expression la plus significative. Plutôt que d’endoctriner la jeunesse avec un écologisme radical mâtiné de multiculturalisme ou d’antispécisme, avec une propagande ininterrompue pour les composts, le développement durable et le tri sélectif, peut-être est-il temps que les maîtres actuels cessent d’épouser l’idéologie ambiante dans le sillage de l’hystérique Greta Thunberg, et s’éveillent enfin en revenant aux trésors de la littérature pour enseigner le bon, le beau, le vrai, la nature et son invraisemblable poésie. Ils pourraient utilement relire à leurs élèves cette description du printemps de Chateaubriand pour les aider à résister à la novlangue massifiante qui endort leur sensibilité : « Le printemps, en Bretagne, est plus doux qu’aux environs de Paris, et fleurit trois semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l’annoncent, l’hirondelle, le loriot, le coucou, la caille et le rossignol arrivent avec de tièdes brises qui les hébergent dans les golfes de la péninsule armoricaine. La terre se couvre de marguerites, de pensées, de jonquilles, de narcisses, de hyacinthes, de renoncules, d’anémones, comme les espaces abandonnés qui environnent Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Croix-de-Jérusalem, à Rome. Des clairières se panachent d’élégantes et hautes fougères ; des champs de genêts et d’ajoncs resplendissent de leurs fleurs qu’on prendrait pour des papillons d’or. Les haies, au long desquelles abondent la fraise, la framboise et la violette, sont décorées d’aubépines, de chèvrefeuille, de ronces dont les rejets bruns et courbés portent des feuilles et des fruits magnifiques. Tout fourmille d’abeilles et d’oiseaux ; les essaims et les nids arrêtent les enfants à chaque pas. Dans certains abris, le myrte et le laurier-rose croissent en pleine terre, comme en Grèce ; la figue mûrit comme en Provence ; chaque pommier, avec ses fleurs carminées, ressemble à un gros bouquet de fiancée de village. »


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