Le Paradis est épars, Chantal Delsol
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Nous sommes plutôt habitués à lire des essais de la philosophe Chantal Delsol, et à la suivre dans cette aventure de la pensée, et bien cette fois-ci, elle nous offre un roman. Dans Le Paradis est épars, on pourrait dire qu’il y a trois personnages : deux garçons et la montagne. Chris rêve tout simplement de devenir guide de haute montagne et de fonder une famille. Lorenzo, le touriste venu de Rome veut devenir écrivain. La montagne, c’est le massif des écrins au cœur des Alpes. « On est bien obligé ici de reconnaître que Dieu existe. » Les autres personnages forment le décor de ce récit d’amitié.
A l’heure du récit, Lorenzo a disparu depuis une semaine. Chris, inquiet de le savoir parti seul avec ses équipements de montagne, part à sa recherche via toutes les pistes et refuges déjà fréquentés ensemble. Le récit de la recherche de l’ami disparu en montagne s’alterne avec l’histoire de cette amitié que Chris se remémore pour nous. Il nous offre l’histoire de Lorenzo, l’enfance, l’adolescence et la petite vie d’un écrivain. Plus Chris le cherche et plus la vie de Lorenzo s’épaissit, plus nous le connaissons, plus son mystère s’épaissit.
Les deux garçons se sont rencontrés dès l’enfance pendant la période des vacances. Face aux éléments, côtoyant les sommets du monde, les jeunes ados se croient immortels : « Nous nous pensions invulnérables. » Cependant, dès cette époque, Lorenzo se distingue, entretenant « en permanence un monde intérieur plein de méandres, de nuances et d’arguments. » Il n’aspire pas à une vie simple, il a Dante en poche et ne s’en sépare pas, c’est sa source, son point d’appui. Quand il avoue à son ami qu’il veut devenir écrivain, Chris comprend tout de suite ce que cela signifie : « je compris cette annonce de Lorenzo comme une trahison. » L’aveu d’être écrivain est un aveu terrible. Lorenzo restera hors d’atteinte, Chris sait dès lors qu’il n’aura jamais accès à son monde, et que tout le réel viendra s’y abîmer.
Dès lors les trajectoires divergent sans jamais détruire le lien d’ordre filial qui s’est tissé entre les deux garçons. « Chacun de nous était le témoin direct et muet de l’entrée de l’autre dans l’âge adulte. » Cet âge adulte a son cortège de joies, de drames de part et d’autre. Mais Lorenzo semble comme handicapé pour bien vivre, incapable de s’offrir à l’autre, accaparé par les mondes qu’il extrapole sur la base de morceaux de réel croisé. « On avait l’impression que la réalité le quittait par lambeaux, pour se déposer sur le papier. »
Chantal Delsol nous prend doucement la main avec son roman. On croit à une gentille histoire d’amitié et elle nous emmène aux sommets pour ressentir le vertige de l’écriture, son rapport à la vie et à la mort. « Evidemment ! On meurt toujours avant d’avoir fini ; on meurt toujours devant un livre ouvert. »
Le Paradis est épars, roman de Chantal Delsol, Ed. Cerf, 170 pages, 18 €