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Le parti d’Edgar Winger

Le parti d’Edgar Winger

Par  

Patrice Jean nous fait entrer dans la tête d’un militant des lendemains qui chantent. Dans la tête, car de trippes ou d’âme, il en reste peu. Le héros, Romain Bisset, a renoncé à tout ce qui fait la singularité d’un homme pour œuvrer à un futur désirable. Il a du pain sur la planche car « L’histoire de France est une longue sédimentation de substances obscurantistes (…) qu’il est nécessaire de dissoudre dans l’acide révolutionnaire. » Il a d’abord rompu avec son milieu bourgeois et légué sa fortune au Parti Révolutionnaire, et on le voit incorporer la morale progressiste du moment : néoféminisme, anticolonialisme, bref wokisme en renonçant à toute liberté de pensée, et à toute dimension métaphysique de la vie. Il se veut un bon élève de la révolution, c’est dire s’il est fait pour le sacrifice !

Le parti a décidé de l’envoyer à la recherche d’un fameux Edgar Winger, le théoricien disparu de ce qu’est devenue la gauche révolutionnaire. Tout l’espoir du parti révolutionnaire se trouve dans cet homme qui serait le seul capable de réaliser la convergence des luttes et des progressismes. Il parait qu’on aurait vu Winger à Nice au café. Romain, le bon soldat, part et enquête. A partir de là, il tient un journal et c’est le roman que nous lisons. Ce journal ressemble à une thérapie, un auto-coaching rééducatif. Romain parle beaucoup des tentations de la chair… Comment peut-il oser envisager l’autre sexe comme un objet de jouissance ? Finalement, le militant progressiste a les mêmes états d’âmes, sous forme de caricature, que les hommes de foi…

Dans sa recherche d’Edgar Winger, Romain vit quelques aventures qui sont autant d’épreuves pour le bon soldat. Ces épreuves sont le fameux réel sur lequel on se cogne. Il voit des gens heureux dans la rue alors même que l’Utopie ne s’est pas encore imposée, il doute avec une naïveté presque touchante. « Chaque rire, chaque baiser, était comme une négation de mes raisons de vivre. » Et oui, pour Romain, vivre et militer sont une seule et même chose. A un moment, Romain tombe dans un piège de racailles qui le détroussent et le molestent. C’est le dilemme ! Faut-il dénoncer à la police ou non ? Il justifie l’agression dont il est victime comme un genre de justice imminente puisqu’il appartient à une classe dominante, et le crime devient tout relatif à la nature de la victime. Le mal ne peut avoir qu’une seule source : la droite. La racaille a dû être manipulée, c’est évident. Le journal devient le lieu de l’examen de conscience, de la purification des pensées. « C’est un exercice moral et politique. Il ne faut surtout pas y taire ses défauts ni ses erreurs. » La police politique est dans sa conscience et il s’inflige une auto-correction fraternelle en permanence. Ses scrupules tournent à la prise de tête permanente : « Tout est vrai. Rien n’est vrai. Je ne dors pas… »

Tout ça ne peut que mal finir. Le bon soldat subit l’épuration : il aurait mis une main aux fesses à une militante. Et il ose faire l’étonné : « Je ne croyais pas qu’on en était là dans le trafic de la vérité. » Son seul espoir de revenir en bonne grâce est de trouver encore et toujours Winger. Mais il n’est pas au bout de l’ironie du sort car l’inspirateur des théories, après quelques déboires avec une jeune fille et la justice, est devenu un prophète de malheur. Dans une longue lettre au jeune militant, il explique : « Le mal est métaphysique. » Le gros mot est lancé. Il enfonce le clou : « Les gens se jettent à corps perdu dans la lutte politique pour oublier que le mal est en eux. » Dans sa retraite de vieil homme au bord du monde, le penseur renvoie dos à dos le capitalisme et ceux qui le combattent, comme les deux faces d’une même pièce. Les révolutionnaires ne sont que les dindons de la farce. Patrice Jean par la voix de ce Winger revenu de ses illusions nous donne une leçon de vanité. Les illusions politiques appartiennent à la comédie sociale, au monde du faux. Ce n’est rien d’autre qu’un jeu de société. La dialectique elle-même est assimilable à un jeu de construction avec des mots. « L’utopie est un mode de divertissement. » Que va devenir Romain ? « Il ressemblait à un croyant qui lirait tous les jours une bulle papale annonçant la non-existence de Dieu. » Est-il encore utile à la révolution ? Pourrait-il vivre sans Révolution, sans ennemis à abattre ? Patrice Jean nous offre un voyage naïf entre aventure de la pensée et passions tristes. Il dessine ainsi en creux la singularité tragique de la liberté humaine.

Le parti d’Edgar Winger, Patrice Jean, Ed Gallimard, 244 pages, 20€
‌Publié une première fois dans Le Bien Commun (http://lebiencommun.net/kiosque/‌)


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