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Leurre et malheur du transhumanisme

Leurre et malheur du transhumanisme

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Olivier Rey, chercheur au CNRS, mathématicien et philosophe, nous gratifie d’un excellent ouvrage au titre on ne peut plus explicite : Leurre et malheur du transhumanisme. Sa brillante démonstration vise à créer un déclic dans les consciences assoupies et comme hypnotisées par le progrès : « Des lois ont banni les fumeurs des lieux publics, mais rien ne nous protège contre les bioprogressistes qui, en très peu de temps, ont réussi à occuper le devant de la scène et entendent imposer leur « agenda » au reste de l’humanité […] Tel est donc notre lot : vivre dans un monde où certains hommes, pressés et jaloux, veulent que les humains laissent la place à des êtres plus performants. » Rey convoque tous les hommes de bonne volonté « pour mettre en commun quelques raisons d’aimer et de défendre la condition qui est la nôtre. » Sa louable intention doit être encouragée, diffusée, mais les hommes modernes affaiblis et phagocytés peuvent-ils entendre son invite pressante : « Notre situation actuelle d’hommes diminués, à la confiance en soi si déliquescente –malgré toutes les protestations d’indépendance-, nous réduit à placer nos espoirs d’amélioration dans les « augmentations » que les maîtres de l’innovation voudront bien nous dispenser ; notre vulnérabilité est accrue par le fait que le fameux humanisme, que d’aucuns érigent en rempart contre le transhumanisme, se trouve lui-même pénétré depuis belle lurette, et jusqu’à la moelle, des principes qui conduisent audit transhumanisme. »

Les visées du transhumanisme

Le trans de transhumanisme renvoie à la fois au statut de l’humanité comme simple état trans-itoire à traverser, et à la trans-cendance des nouveaux êtres par rapport à nous-mêmes, humains standards, qui aurons œuvré à leur advenue. Toute la fable diabolique construite sur l’heureuse hybridation homme-machine permettant l’affranchissement de l’esprit d’avec la prison charnelle qu’est la matière érige en fait une nouvelle gnose, une de plus, celle-ci étant puissamment servie par les méga-capacités offertes par les technologies modernes d’information et communication. Ray Kurzweil, un des plus fervents apôtres du transhumanisme, recruté par Google, annonce qu’en 2045, il sera possible de transférer mémoire, esprit, conscience sur ordinateur et d’échapper ainsi aux processus organiques. Comment obtenir meilleure reconnaissance et blanc-seing pour de futures folles recherches qu’en annonçant la mort de la mort ? Brandissant l’argument démographique face à l’exiguïté de notre planète, le savant Kurzweil (pardon le « sachant » !) affirme péremptoire : « Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes rivés à la technologie. » Pourquoi ne pas alors arguer avec d’autres belles consciences « éclairées », en dépit de la stupidité de l’assertion, que dans 2 milliards d’années, le soleil ayant pulvérisé toute vie sur terre, il est urgent de se vouer dès aujourd’hui, corps et âme, à la technologie bienveillante et salvatrice ? David Pearce, cofondateur de la World Transhumanist Association, annonce quant à lui une nouvelle ère où « toutes les expériences désagréables laisseront place à des gradients de plaisir situés au-delà des frontières de l’expérience humaine normale. Au fur et à mesure que les traitements de l’humeur (mood-brighteners) et des thérapies géniques plus efficaces et plus sûres deviendront disponibles, il pourrait devenir possible de mettre en œuvre une « ingénierie du paradis. » » Rien que cela ? Voilà les maîtres du monde auto-proclamés qui adoptent la glorieuse posture de sorciers du vivant, de la mort, et de la félicité universelle! Le rêve prométhéen de devenir Dieu est en passe d’être accessible chez les petits génies de la génétique ! Dans les promesses brandies par les faiseurs du nouveau monde, figure la libération de la sexuation, les transsexuels apparaissant alors en « troupes de choc du transhumanisme » selon le très progressiste James Hughes, ancien directeur exécutif de la WTA et tenant d’un « transhumanisme démocratique ».

Et l’homme dans tout cela ?

Olivier Rey explique que la comparaison de l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle -dont la puissance de calcul serait des milliards de fois supérieure aux capacités du cerveau humain- ignore par principe certains caractères essentiels de l’intelligence humaine : « Le roi Salomon a prié le Seigneur pour qu’il lui accorde un cœur intelligent, qui le rende capable de discerner le bien du mal et de rendre la justice. Discerner le bien du mal, est-ce une question de puissance de calcul ? »

Alors peut-être serait-il nécessaire, voire vital, que les gens se décidassent à être moins sensibles aux délices du progrès qu’aux ruines qu’il accumule.

Rey nous informe sur la « pharmacisation tous azimuts de l’existence » dans le prisme qu’a défini l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Cette définition consacre ni plus ni moins l’infantilisation des êtres humains et leur complète dépendance à ceux qui fabriquent et délivrent les traitements. Notre auteur pointe aussi l’attitude utilitariste de l’Europe vieillissante qui profite de l’explosion démographique en Afrique pour dynamiser sa croissance et maintenir la modération salariale grâce à l’importation d’une main d’œuvre bon marché. Face à la défiance des européens quant aux mouvements migratoires générés, des chercheurs s’attellent à la tâche de vaincre les réticences. Pour ce faire, ils proposent très sérieusement de faire inhaler de l’oxytocine, une hormone qui augmenterait la capacité des gens à s’adapter à des « écosystèmes sociaux en évolution rapide. » Où comment imposer à marche forcée le modèle du multiculturalisme, l’abandon des frontières, des nations, des cultures particulières, et sacrer les codes du nouveau monde !

Henri Bergson affirmait que « l’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. », et notre chercheur au CNRS, quant à lui, ouvre les perspectives qui permettraient à cette humanité de demeurer humaine : « De toutes les extravagances dont notre monde est envahi, les contes sur le triomphe de l’intelligence artificielle et le transhumanisme comptent parmi les plus maléfiques. Ils incitent, en annonçant la mort de la mort, à persévérer sur une voie qui conduit à la mort de masse ; ils alimentent des fantasmes de surpuissance à un moment où il faudrait, plus que jamais, accepter de mettre des limites à la puissance ; ils flattent l’individualisme alors qu’il serait urgent d’assumer une communauté de destin, ils engagent à ignorer et mépriser toutes les sagesses élaborées par les hommes au fil des millénaires, en une conjoncture où celles-ci seraient nos plus précieuses ressources, ils bercent de chimères quand il faudrait se confronter à la réalité. Nous sommes entrés dans des temps apocalyptiques, et nous ne sommes pas prêts. Chaque jour qui passe, nous sommes moins prêts, du fait d’un assujettissement toujours croissant à un système hors de contrôle, et d’un flot de promesses absurdes qui aggravent l’hébétude. Pour être à la hauteur de ce qui vient, ce ne sont pas d’innovations disruptives, de liberté morphologique ni d’implants dont nous aurons besoin, mais de facultés et de vertus très humaines. »


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