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Mademoiselle Prim, un livre knacki Herta

Mademoiselle Prim, un livre knacki Herta

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Voici que toute la presse s’étonne de découvrir une perle rare qu’on leur a mis sous le nez, dans leur assiette. Un premier roman, un succès international, un souffle de fraîcheur auquel on ne s’attendait plus : le roman de Natalia Sanmartin Fenollera intitulé « l’éveil de mademoiselle prim » fait l’unanimité et c’est louche. Voir l’Homme Nouveau, le Huff, El Païs, etc… louer ce livre si « lumineux » doit faire immédiatement douter. Cette concorde nous fait davantage penser à une mise en scène bien orchestrée par un agent littéraire petit génie de la vente que par la faculté des critiques littéraires à débusquer par eux-mêmes le génie. De la lecture de ce livre très digeste ne reste que l’agacement d’avoir été ciblé comme consommateur, grossièrement flatté comme lecteur, et de nous être englués dans le monde bien léché de cette journaliste fan de Jane Austen, le monde des choses simples, le monde doucereux typé « knacki Herta ».

Succès fabriqué pour un livre fabriqué

Que le succès soit fabriqué ne fait aucun doute. On imagine aisément la journaliste prendre langue avec un éditeur sur sa petite idée de monde d’avant, du monde harmonieux des relations de village, une discussion entre les deux sur ce que recherchent aujourd’hui « les gens », ce désir du retour aux « vraies choses ». « J’ai toujours rêvé d’écrire un livre à la Jane Austen qui parlerait de nos aspirations à fuir le monde matérialiste d’aujourd’hui, je crois que les gens ont envie de ça aujourd’hui. »

« Mais faites-le ma petite dame ! » et la machine est lancée, les dollars ont circulé dans les yeux de l’éditeur sur ce concept de réactualisation de Jane Austen. Une diffusion large fut décidée, une large installation, les médias les plus généralistes mobilisés, le tout sur le mythe de la découverte de la perle rare. Bien. Mais ce n’est pas seulement le succès qui est fabriqué, le livre lui-même l’est. « L’éveil de mademoiselle prim » est un véritable produit. D’abord parce qu’il y a une cible de lectorat, 75% des lecteurs sont des lectrices, n’oublions pas. Deuxièmement, parce qu’on y vend un esthétisme couleur sépia, et enfin parce qu’on flatte le lecteur. Voilà un livre qui « fait du bien » lit-on dans les meilleures critiques ! Voilà une vision très moderne de la littérature alors même que l’objet du livre est de critiquer la modernité. Écrit-on pour faire du bien ? N’est-ce pas plutôt l’objet des biens de consommation que de faire du bien ? Peut-on critiquer la matière et la modernité sans déranger, questionner, remettre l’homme les deux pieds dans sa faille métaphysique ?

Petite histoire sur une petite idée

Raconter l’histoire de ce livre est plus qu’aisé, puisqu’elle se résume à une idée. Tout est écrit d’avance. Rien ne se passe dans ce livre que la description détaillée de l’idée de sa génitrice. On sait dès les premières lignes ce qu’on sera amené à lire et on sait d’avance qu’on ne sera pas déçu. Comme pour les feuilletons ou les films TV, il n’y a pas d’inconnu. Aucune chance que certains disent « remboursez », on en aura pour nos 18,30 € versés à Grasset. Alors, le sujet, le voilà : mademoiselle Prim est arrivée dans un village qui est une colonie de gens « hors du monde » en répondant à une annonce pour le moins étrange, « Cherche esprit féminin détaché du monde. Capable d'exercer la profession de bibliothécaire pour un gentleman et ses livres. Pouvant cohabiter avec chiens et enfants. De préférence sans expérience professionnelle. Titulaires de diplômes d'enseignement supérieur s'abstenir ».

Là dedans, tous les personnages sont regardés de haut, de toute la hauteur de ce nouvel écrivain sorti du journalisme. En toute générosité, elle fait partager toute sa suffisance au lecteur en lui prêtant son point de vue. Elle a dû jouer aux poupées dans son enfance. Ce livre est le petit art de la disposition, de la mise en décor, tout y est, chaque personnage a son petit commerce dans cette colonie d’individus fuyant le monde : la boulangerie, la librairie, l’institutrice… On sent tellement à chaque phrase sa satisfaction d’avoir ordonné ce monde immuable sorti des souvenirs des plus anciens, comme un paradis retrouvé. Cependant : pas l’ombre d’une aventure en vue ! Tout au plus des anecdotes pour sourire et se faire des clins d’œil par écriture interposée. Sans aventure, nous ne sommes donc plus dans la littérature. Natalia, qui doit sans doute se sentir tellement proche de l’héroïne, aurait dû se mettre à la peinture, ou plus exactement à l’aquarelle et ne pas polluer nos bibliothèques par ce gentil livre dont la lecture ne peut que conforter (sans jamais le modifier) le lecteur. Un livre-tableau où il ne se passe rien ? Pas tout à fait. Il y a des mini-drames : l’absence dans la bibliothèque parfaite du personnage principal des « quatre filles du docteur March », ouvrage indispensable pour l’éducation de ses nièces dont il a la charge selon la miss Prim ! Des mini-aventures : le retour temporaire du mari de l’institutrice à qui il faut donner un emploi au village-colonie de sorte qu’il reste désormais sous les yeux de sa femme. Et surtout, le mélo évident, deviné depuis le début, du cheminement de la jeune fille orgueilleuse vers l’amour… Tous les ingrédients sont là pour que le lecteur soit satisfait, contenté et distrait comme il faut. C’est aussi ça que l’on appelle un livre fabriqué.

Amélie Poulain, Knacki Herta, Guy Degrenne… en couleur sépia

À partir de son idée, la Jane Austen espagnole campe un village constitué comme une colonie d’individus ayant rejeté le monde. Une colonie où les gens reviennent au bon vieux temps, où les relations se tissent dans le plus grand respect, un monde de la courtoisie, un mode de verveine, où les enfants apprennent les auteurs classiques dans le texte, connaissent les langues mortes, un monde qui a rejeté l’éducation nationale, un monde de l’école à la maison, un monde qui aime sa patine, un monde de mangeurs de miel, de buveurs de chocolat chaud. On est dans une ambiance sépia dès le début, totalement immuable. Comment refuser la modernité tout en refusant l’aventure alors même que le propre de notre modernité est d’être sortie de l’aventure. Ce paradoxe prouve que notre écrivain n’a rien compris à ce monde, et à la nostalgie qui l’habite. Et puis, elle utilise des images tellement faciles avec cette fleuriste qui comme par hasard se nomme Hortense Œillet, le héros qui n’est qualifié pendant tout le livre que comme « l’homme au fauteuil », elle ose ce genre de formule : « une seconde qui dura une éternité… » Qui peut encore écrire comme ça ? Il y a une règle très simple en littérature : le premier ayant comparé une femme à une rose fut un génie, le second un abruti. Vouloir quitter sa plume de journaliste pour prendre celle de l’écrivain suppose d’avoir compris que le style non plus ne se fabrique pas. Elle croit avoir du style et donne à penser aux lecteurs occasionnels, à la masse, qu’ils ont tout de même un peu de raffinement, capables qu’ils sont, de goûter le petit esprit qui flotte là dedans. Ils aimeront « l’éveil de mademoiselle prim » comme ils ont aimé Amélie Poulain dont il faudra un jour redire pourquoi il s’agit d’un film insupportable. D’ailleurs, il est à parier que « l’éveil de mademoiselle prim » sera un jour un film que le peuple prendra pour du cinéma d’auteur à sa portée. Le tiroir caisse cliquète déjà.

La future star des bibliothèques tournantes

75% des lecteurs sont des femmes et l’éditeur de mademoiselle prim l’a bien compris. Comme une private joke, Natalia Sanmartin Fenollera fait dire à son héroïne : « Je crois qu’il est assez simple d’identifier la littérature destinée aux femmes : il suffit de voir le sexe de l’auteur. » Et ce livre en est encore la confirmation désolante. Il sera la star de toutes les bibliothèques tournantes, lieu où les femmes s’amusent à cultiver l’entre-soi et à confirmer leurs certitudes. Mademoiselle prim représente le plus petit dénominateur commun, la lecture la plus consensuelle, capable d’être partagée par un collectif donné. On en a minimum pour trois ans, sans compter l’adaptation cinématographique. Certains hommes seront incités à laisser tomber leur journal pour partager pour une fois la même lecture que leur femme. On trouvera formidable que la critique de la modernité que l’on formule en couple puisse enfin être lue dans un roman, ils seront enfin contents de sentir ensemble qu’ils avaient bien raison. « C’était mieux avant ! »

Si j’ai été amené à lire cet insupportable livre infatué de lui-même et de la flatterie qu’il délivre au peuple, c’est que le journal « L’Homme Nouveau » a dit que ce livre valait le détour. Je comprends aujourd’hui que ce que l’Homme Nouveau doit aimer est le côté « c’était mieux avant » sous fond de religiosité sociale retrouvée. Car ce qui amène Mademoiselle Prim à abandonner très lentement son orgueil au fil des 349 pages, c’est l’énigme de cet « homme au fauteuil » qui a la foi, et dont la foi l’a amené à construire ce projet de colonie. Malgré ce filigrane religieux, rassurons-nous, on ne parle jamais ni de Jésus, ni de la mort, ni véritablement de l’existence. La religion n’est finalement qu’un élément de décor ajouté par notre écrivain aquarelliste pour ajouter un peu de profondeur. De ce fait, on attend avec impatience la critique de Libération, pour rire franchement. Il est à parier que le journal conscientisé de gauche qualifiera ce succès de librairie de maréchaliste et déplorera le retour de la France Guy Degrenne !


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