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Mathias Lair : Pour l’amour c’est raté

Mathias Lair : Pour l’amour c’est raté

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Les histoires d’amour finissent mal, en général… On a bien en tête ce refrain chanté haut et fort par Catherine Ringer, on le chérit dans nos défaites pour en faire des exploits, des médailles de guerre. Et juste après dans la solitude soliloquante, il nous monte aux lèvres du Charles Aznavour pour résumer notre petite vie : Mes amours, mes amis, mes emmerdes. Il s’agit un peu de ça dans le livre de Mathias Lair, Pour l’amour, c’est raté. Un essai à dimension littéraire, une sorte de récit initiatique, … Deux amis marchent et nous marchons avec eux. On connaissait la philosophie de comptoir, Mathias Lair invente celle des chemins de douaniers. Et force est de constater que la marche fait aller plus loin. Au moins jusqu’à l’amitié. Paul, un lonesome lover en errance dans les déserts de l’amour… Il se veut pur, se révèle idéaliste et donc aussi, parfois, borné. Mathieu, taquin, épris de jeux de mots, de formules agaçantes, légèrement manipulateur dans la conversation, veut le faire accoucher : quel est son plus beau ratage en amour ? la réponse ne sera pas immédiate, elle viendra sous formes de souvenirs, de façon parcellaire, il faudra le temps d’une promenade, d’une pérégrination qui se veut confession, plus efficace que le divan.

Le dialogue socratique vire assez rapidement vers Freud. Maïeutique et freudisme se rejoignent dans la promenade. « Les questions les plus efficaces sont les plus muettes. » Et ce qui se joue prend des allures de pièce de théâtre. Y’a du Woody Allen là-dedans, puisque c’est bavard, et puisque l’amour est prétexte à parler de l’être avec profondeur et légèreté. Les deux bougres essayent un temps de se débarrasser de l’amour. « Je crois que l’amour est un conte que nous avons appris dès notre enfance. » L’amour serait donc le fruit d’une narration qui conditionne toute une vie ? Mais la vie ne dépendrait-elle pas de notre capacité à en être le héros, c’est-à-dire à se raconter des histoires et donc des histories d’amour ? Ils en profitent pour tenter d’évacuer les scrupules des mythes anciens et des religions, font l’inventaire des vieux modèles d’amour raté : Paul et Virginie, Tristant et Yseult, etc. Les théories se succèdent d’impasses en impasses, elles s’élaborent en commun puis s’effondre une à une : « aimer consistait à rendre réel ce qui n’était qu’imaginaire » ? Mouai. Mais le corrolaire n’est pas satisfaisant non plus. « Comment ai-je fait pour passer du rêve à la réalité, et pour m’en contenter ? » On se laisse aller à faire aussi de la philo de ballade, on se dit que la capacité à aimer serait une sorte de vase creux, un contenant qui précède la forme, parfois lointaine, à contenir. L’amour serait comme une conscience…

La conversation chemine et dérive, on parle d’amour puis de sexe puis d’hygiène affective et sexuelle… Les hommes entre eux expriment sans fin leur libido débridée et décadente dans laquelle ils cherchent à trouver les armes de noblesse, un sexe cérébral. Ils intellectualisent quelques fantasmes autour de toutes les figures féminines : la femme, la fille, la mère, la pute, la vierge. Une vengeance de l’homme qui a tout raté, de l’homme lassé de « La répétition des mêmes émois, des mêmes défaites, des mêmes douleurs. » S’exprime ici l’incapacité de l’homme à accepter la tragédie, se révèle ici sa médiocrité qui se vautre et se salit dans le mélodrame.

Chaque chapitre avance jusqu’au suivant, jusqu’à la question suivante. Comme dans une série, les chapitres ses succèdent avec l’hameçonnage qui nous fera reprendre au plus tôt notre lecture. On a même envie de donner notre avis, de participer ! Nous aussi on a des ratages ! Bien sûr l’aphorisme est au RDV : « l’amour est toujours une soumission. » ; « l’amour est un scandale » ; « le plus grand ratage serait d’être incapable de ne pas aimer. » et le corolaire : « Donc le plus grand ratage c’est le plus grand amour ! »

Cela débouche sur un syllogisme nouveau : « si je l’aime elle ne peut pas ne pas m’aimer, sinon elle cesserait d’être aimable, ce qui est impossible puisque je l’aime infiniment. » Un syllogisme infernal dans lequel on se complait, dans lequel on souffre d’aimer et on aime souffrir, état où l’être est à son apogée tout de même ! Il faut avoir vécu, peut-être est-ce même là plus important que de vivre… Cette promenade des deux vieux amis va se finir au comptoir, presque. Au bout du chemin, au bout du jour et au début de la nuit, Mathieu et Paul décident de boire à leur ratages, aux femmes passées, et à venir, et éclatent de rire, comme deux grands enfants, comme deux grands imbéciles…

Pour l'amour c'est raté, essai romanesque, ed. Unicité, 160 pages, 14€


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