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Mille yeux et lui et lui et lui

Mille yeux et lui et lui et lui

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« M’étais-je fourvoyé depuis le début en pensant que l’idéal du chevalier servant docile et de confiance plairait aux femmes ? Oui de toute évidence. Car j’étais seul et elles mal accompagnées. » Le narrateur du roman de Nora Bussigny, Mille yeux, un jeune étudiant parisien fraichement débarqué de sa banlieue avec le désir de tomber amoureux, va rencontrer des jeunes filles comme on subit des catastrophes naturelles.

Il rencontre d’abord Adélie, issue d’une vieille famille française, pourrie par l’argent et les conventions ; puis il s’attache à maxime, une militante LGBTIQ et + si affinités ; puis Lila, la militante gauchiste de toutes les luttes étudiantes, puis Marion l’apprentie actrice et enfin dans une logique de retour à la case départ, Jessica, ancienne amie de lycée restée en Banlieue, obsédée par son profil et son profil instagram.

Nora Bussigny sait nous peindre toute la sociologie dans laquelle baignent les jeunes filles. L’environnement social apparaît avec précision aussi bien comme un bain que comme une carapace et un carcan faits de productions de raisonnements et de phrase, de jargon et d’un paquet de conventions. Chacun des milieux permet à ces jeunes filles d’accéder à une naissance sociale, qui leur confère non seulement une place mais une bonne conscience d’élue, d’avoir raison précisément avec l’adoption de nouvelles définitions, pour mieux s’exclure du reste de l’humanité à combattre. Toute cette description sociologique complexe dessine en creux le contour psychologique de l’être dans sa simplicité pathétique. La sociologie représente l’idéal esthétique comme avant la tragédie pouvait le faire, et les jeunes filles finissent par révéler des failles tellement ordinaires… L’une est dépressive, l’autre est mal dans sa peau, la troisième est mythomane. Toutes utilisent leur milieu comme moyen de maquiller leur souffrance et de la transformer en outil de manipulation. L’alcool et la drogue étant les bienvenues pour ne pas prendre le risque de la mise à nue, de la vérité.

L’éternelle malignité féminine qui se joue du balourd gars en quête de flatterie pour son égo pourrait se résumer dans la phrase d’Adélie : « Je crois que j’aime qu’on m’aime. » Quel que soit le milieu des jeunes filles, un féminisme émasculateur latent s’exprime contre ce garçon ordinaire a l’âge des possibles, étranger à tout archétype, sans prêt à penser, sans autre intention que de rencontrer l’ancien sexe faible.

Une ambiance très nouvelle vague règne dans son roman, avec cette glose bavarde des jeunes gens, on se croirait un peu dans un conte de Rohmer. Nous nous délectons de la vanité de la vie sociale des jeunes, et nous guettons avec nostalgie la scène d’un baiser volé.

Mille yeux, Nora Bussigny, Ed. Rémanence, 372 pages, 16€.

Texte publié une première fois dans Le Bien Commun n°36 de Janvier 2022 (https://lebiencommun.net/kiosque/)


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