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Pauvre Lélian, tous tes amis sont là

Pauvre Lélian, tous tes amis sont là

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Alain Dulot a choisi de nous raconter la vie de Paul Verlaine à l’occasion de son agonie, de sa mort et de son enterrement. Ce n’est pas à nous qu’il la raconte, mais à l’intéressé lui-même, il tutoie le maître et se fait intime pour lui offrir une nécrologie littéraire. On dirait qu’il cherche à rafraîchir la mémoire du poète disparu. Le livre commence à son chevet. Comme « La maladie est une occupation à temps plein », Alain Dulot se charge de faire revenir les souvenirs. L’agonie est donc le moment choisi pour rappeler au poète moribond tous ceux qu’il aima tant et qu’il malmena si bien : sa mère Elisa, sa femme Mathilde, son amant et ami Arthur Rimbaud, … « En toi Dieu et Satan se sont livrés un combat sans fin. » A Rimbaud, il a d’abord écrit : « Venez, chère grande âme, on vous attend, on vous admire. » Et pourtant, entre l’écrit et l’incarnation, il y a comme un grand écart. Le raffinement et le rayonnement des êtres s’effondrent. Alain Dulot résume ainsi cette histoire au Verlaine qu’il veille : « Une amitié de trois ans et demi s’achève dans le sordide. Deux poètes finissent comme des chiffonniers. » Pour enfoncer le clou, il rappelle à Verlaine ses passages à l’hôpital et en prison. C’est que notre auteur est comme entré dans la tête du poète mourant : « Dans le néant de la prison tu as rencontré l’Infini. »

Verlaine n’a pas rendu l’âme dans un lit administratif, non, il est mort dans son lit, sous son toit, enfin celui de sa dernière presque femme, presque un taudis. Quand les proches entrent voir le corps, ils ne voient que le crâne impressionnant, tout blanc. Il est maintenant l’heure de l’enterrement et c’est la deuxième partie du roman d’Alain Dulot. Eugénie Krantz, l’éditeur, les amis poètes, et tous les autres, une foule immense, marchent derrière ce corbillard du pauvre à travers un Paris enneigé mais sous le soleil en ce 10 janvier 1896, cela forme un cortège de 5 km dans lequel on parle, on rit, on devise. « C’est le même caravansérail qui réunit le riche et le pauvre, mêle le jeune et le vieux, rassemble le rustre et le raffiné, fait se côtoyer l’illettré et l’érudit. » Paris est un personnage à part entière du récit. On suit le cortège funèbre du quartier Mouffetard jusqu’au cimetière des Batignolles, Les Batignolles qui sonnent comme un retour à la case départ de la vie parisienne de Verlaine. Cette pérégrination est encore une occasion de revoir Verlaine dans tous lieux, de se souvenir des poèmes, des cuites, des compagnonnages. On passe là où le peintre Fantin-Latour a immortalisé Verlaine et son crâne à côté du Rimbaud rêveur main sous le menton, tous deux tournant le dos à tous les autres. On revit la bohème, l’absinthe, l’ivresse, le vagabondage.

Toute la poésie, toutes les lettres se sont déplacées pour l’occasion : Charles Cros, Maurice Barrès, Jules Renard, Paul Fort, Mallarmé, François Copée, Paul Valéry, Georges Courteline, … Et puis les autres anonymes dont nous aurions pu être, dont nous sommes grâce au savoir-faire d’Alain Dulot. Au cimetière, les discours s’enchaînent mais on ne retient que le cri d’une femme, cri qui pourrait bien devenir le titre d’un roman : « Regarde, tous tes amis sont là. » Tous sauf lui qui aurait aimé sans doute pouvoir arroser son enterrement. Pauvre Lélian ! Reste la poésie de celui qui fut un révolutionnaire du rythme, un anarchiste de la métrique, un terroriste de la prosodie.

Tous tes amis sont là, Alain Dulot, Editions de La Table Ronde, 174 pages, 16€
‌Texte publié une première fois dans Le Bien Commun (http://lebiencommun.net/kiosque/‌)


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