Pourquoi tu lis… Rigodon
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Et 3, et 2 et 1 ! Ça y est, j’ai le tiercé dans le désordre, cela gagne moins, mais cela gagne quand même, j’ai lu le volume numéro 1 de la collection des Feux Follets des éditions du Feu Sacré. Cet essai est signé Alain Jugnon. Le philosophe. Sans doute celui qui me laisse le plus petit, démuni, encore plus petit que ce véritable livre de poche. Ce qui me rassure c’est que ce philosophe là parle de moi. « J’écris des essais de critique littéraire pour faire de la philosophie socratique : écrire, c’est apprendre à mourir. » (page 11). Ouf, si je n’ai pas l’érudition suffisante, je pourrais le suivre à l’instinct, au moins. Ce qui intéressent Jugnon sont donc ces poètes qui commencent à écrire en apprenant qu’ils vont mourir. Rigodon est cette poésie là. « Lire un livre de Céline, c’est s’embarquer vivant pour la mort. C’est revenir de la mort qu’on voit au bout du voyage en reprenant au début les choses : un dieu, une création » (page 37).
Tout le travail de lecture à la suite de Jugnon est résumé dans le sous-titre choisi par l’auteur : les preuves de l’existence de l’homme. Ironie triomphale ! Lire Jugnon qui nous explique pourquoi il lit Rigodon nous fait comprendre tout l’enjeu de pousser l’existence jusqu’à être un homme, être ce mystère, être ce poème, sans rien chercher à posséder. Pour être un homme, il faut et il suffit d’être surtout un corps, en entier, et de le livrer de la même façon. En chair et en os, mortel.
Lire le dernier Céline semble donner accès à tout Céline. Rigodon, c’est Céline fait livre, Céline fait Verbe, la preuve de son existence à lui déjà, et si Céline est bel et bien un homme, la preuve donc de l’existence de l’homme. Par souci de syllogisme… Sont convoqués pour bien lire Céline Proust, Kafka, Nietzsche, Paulhan, Artaud… Jugnon lit donc Rigodon pour pouvoir relire tous les autres. Tous ceux qui ont fait de leur chair un poème aussi. Rigodon prétexte donc ? Non, Rigodon contient tous les autres, Rigodon nous livre tous les autres. Et Jugnon nous livre Rigodon. Le voilà le tiercé dans le désordre.
Au tout début de l’essai littéraire, on sent que Jugnon part au combat avec cet essai, pour Rigodon. On sent qu’il veut convaincre, tuer tout ce qui enferme l’œuvre de Céline, s’attaquer en même temps avec l’arme de l’écriture à tous ceux qui s’obstinent à ne pas penser, à ne pas lire. Céline est plus que tout ce que tu peux penser, pire et donc meilleur. Ce n’est pas pour rien si ces livres tiennent dans la main comme un révolver que l’on dégaine, Jugnon a fabriqué une arme de poche pour défendre l’humanisme de Céline. Jugnon veut nous "rigodonner", non pas nous convertir à Céline, mais à nous même. Il veut que nous lisions Rigodon comme on se regarde dans un miroir, et que l’on voit la preuve de notre existence. Enfin lecteur !