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Rééducation nationale

Rééducation nationale

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Patrice Jean ressemble de plus en plus à un nouveau Kundera, il nous conte en effet de drôles de fables en pays absurde. Sauf que ce pays absurde n’est pas la Tchécoslovaquie communiste, mais notre France progressiste. Avec Rééducation nationale, il nous offre une nouvelle chronique d’un homme de bonne volonté dans le camp du bien, une nouvelle farce du monde en progrès. L’homme de bonne volonté, c’est Bruno Giboire, personnage naïf, qui à l’aune d’un handicap, parvient à être titularisé pour exercer le plus beau métier du monde : enseignant ! Il met tout son enthousiasme à épouser le nouveau catéchisme gauchiste. « Désormais, il participait à une œuvre nationale et universelle : la transmission des savoirs, le progrès de la civilisation. » Il se rêve en héros de la culture, en hussard des temps post modernes, il se déclare en son for intérieur que « l’héroïsme ne devait pas être réservé à quelques-uns, mais à tous les hommes bons et généreux. »

Nous sommes au Lycée André Malraux de Nantes. Et il y a des clans parmi les professeurs, des pédagogistes les plus radicaux aux plus classiques qualifiés de réactionnaires voire de fascistes sous prétexte de vouloir transmettre une culture et un savoir aux jeunes. Des profs bons pour la révocation s’ils ne veulent pas suivre des « stages de rééducation pédagogique ». Giboire reste trop naïf pour être totalement des leurs. Il sauve la face et donne des gages d’engagement. Et goûtons là la formule de Patrice Jean pour l’ancrer dans notre imaginaire : « Le sourire bête l’avait souvent sauvé de situations embarrassantes, il en usait avec un grand naturel et une belle générosité. »

L’intrigue qui sera prétexte à un véritable théâtre d’opération est causée par une statue khmer offerte par Malraux au lycée il y a fort longtemps. Certains veulent aujourd’hui la vendre pour financer un atelier pédagogique et citoyen. D’autres veulent la conserver comme témoin de la culture que les jeunes doivent fréquenter. Cette statue Khmer va voir converger vers elle toutes les maladies mentales engendrées par une société prise dans l’emballement du progrès. Les guerres vont êtres dignes de celles qui mériteraient les planches d’un théâtre. On rit beaucoup du florilège de dialectiques, d’insultes, de coups de force et d’histoires de cœur.

Notre Bruno Giboire propose naïvement de guérir les réactionnaires avec la chimie. Un certain médicament appelé Ethico 3000 permettrait de conscientiser le pire des réactionnaires. « Il fallait être naïf comme Bruno pour imaginer que la chimie prescrivait la morale. » La vraie morale de cette fable pourrait être : la littérature ou la chimie ? La chimie peut-elle rallier l’ennemi dans le camp du bien ? La littérature peut-elle sauver quelqu’un de l’idéologisation ? Bruno reviendra de ses illusions sans renoncer à sa naïveté grâce à Agnès. « Agnès aida Bruno à déserter le camp des généreux, des valets du Bien et des Narcisses de l’engagement. Plus il lisait et plus Bruno revenait à lui-même, au réel, au rien. Ces deux sources – Agnès et la littérature – purifiaient sa volonté maladive d’être utile aux autres, de créer du lien social, de raccommoder les déchirures collectives. »

Voilà donc une farce qui ressemble beaucoup à notre monde, presque son image fidèle comme le Gorafi l’est du Figaro. On rit tout en cherchant une issue au piège du progrès, piège tissé par une dialectique digne des procès staliniens. Heureusement, il y a, pour nous consoler et nous conforter dans notre goût pour la lecture, une parole sensée du professeur de Français avant qu’il ne soit destitué car refusant la rééducation pédagogique : « Lire Montaigne ou Chateaubriand, c’est se confronter à un mode de perception étranger au nôtre, et dès lors c’est perdre de notre superbe, c’est-à-dire de notre connerie. Les livres qui confortent l’esprit du temps sont de l’anti-littérature. »

Rééducation nationale, Patrice Jean, Ed. rue Fromentin, 142 pages, 17€

‌Texte publié une première fois pour le bien Commun


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