Relire le Partage de midi de Paul Claudel dans les lunettes des confessions augustiniennes
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Chaque année, à la veille de la fête de Noël, nous avons toujours un coup de cœur à Paul Claudel, dramaturge, poète, diplomate et croyant. L’évènement fulgurant de sa conversion en 1886 le jour de Noël marquera tous ses écrits. Revenons sur Le partage de midi qui est un drame écrit en 1905 en exutoire aux deux années de passion amoureuse qu’il vient de traverser après sa conversion. Il se construit autour de deux thèmes celui de l’adultère (le mari, la femme et l’amant) et celui de la lutte entre la vocation religieuse et l’appel de la chair. A l’instar de Saint Augustin par ses confessions, ce n’est pas la tâche des écrivains, poètes ou dramaturges d’engendrer seulement un chrétien mais c’est au chrétien aussi de devenir poète, dramaturge via par ses confessions ou ses témoignages autobiographiques.
Paul Claudel, l’homme aux amours coupables
Claudel se montre comme l’homme inexpérimenté sur le chemin d’amour car ce prêtre manqué se dit qu’il est, peu préparé par son éducation et son tempérament naturel. Un évènement frappant dans la vie de Claudel fut sa conversion. C’est en entendant les Vêpres de Noël 1886, puis en lisant la Bible à son retour chez lui, que le poète rencontra Celui qui bouleversa sa vie : « Dès le soir même de ce mémorable jour à Notre-Dame de Paris, après que je fus rentré chez moi par les rues pluvieuses qui me semblaient maintenant si étranges, rencontre Claudel, j'avais pris une bible protestante qu'une amie allemande avait donnée autrefois à ma sœur Camille et, pour la première fois, j'avais entendu l'accent de cette voix si douce et si inflexible qui n'a cessé de retentir dans mon cœur. » (« Ma Conversion », Contacts et Circonstances, OPr p.1012.)
Cependant, en tant que consul en Chine, il s’aventura sur le chemin d’amour avec une femme mariée. Les deux amants ont passé outre. Les voici, qui se demandent l’un à l’autre cet élément, cet élément intérieur que l’on appelle le feu, et que la créature n’usurpe à son usage que pour sa propre destruction. Au lieu de les illuminer, il les brule. Au lieu de les consommer, il les consume. Au lieu de s’apporter l’un à l’autre le salut, ils s’apportent l’un à l’autre la damnation. Terrassé par cette blessure béante qui ne se cicatrise pas, Claudel écrit le drame Le Partage de midi qui lui permet d’exprimer toute la profondeur de son désespoir. Cette confession littéraire lui sauve probablement la vie. À partir du Partage de Midi, on observe que la représentation de Dieu par rapport à d’autres drames se bâtit moins sur l’exploration théologique que sur l’expérience amoureuse.
Le Partage de midi, une œuvre autobiographique
C’est un drame en trois actes avec 4 personnages, Amalric (l’homme d’occasion) ; De Ciz (le mari,), Mesa (Claudel lui-même), Ysé (l’amant et mari de Ciz). Le premier acte se fait sur un pont d’un grand paquebot vers l’extrême orient. Le fonctionnaire Mesa regagne son poste en Chine. A bord, il retrouve aussi une jeune femme Ysé accompagné de son mari De Ciz. Cette femme était tant désirée par Amalric mais en vain. Entre Ysé et Mesa, la relation du professeur se change en relation intime. Alors est né une sorte de concurrence acharnée entre Amalric et Mesa. Ce dernier solitaire et désemparé tombe aussitôt amoureux de la belle Ysé, tandis que Almeric, qui l’avait rencontré et aimé autrefois, veut relancer à nouveau la conquête. Chacun en route vers la chine, espère y trouver un sort à la mesure de leur ambition ou de leur désarroi. Le second Acte se déroule à Hongkong, âpres la traversée. Mesa et Ysé s’abandonnent à leur passion alors que De Ciz dégage et laisse sa femme seule. Mais ce qui est étonnant dans cet acte, c’est la puissance irrésistible de l’amour. Là où celui qui voulait entrer dans les ordres religieux se voit chavirer du fond de lui-même par un amour fou de la belle Ysé. Dans le troisième acte, l’action est dans un port du sud de la Chine, au moment de l’insurrection de la Chine, nous voyons Amalric décidé de conquérir Ysé à tout prix. Il s’installe donc un monologue halluciné d’un Mesa anéanti et trahi dans l’amour. Ici, il serait difficile de différencier l’amour d’Ysé et l’amour de Dieu dans le personnage de Mesa surtout qu’il se lamente que son âme il a donné à Ysé, elle l’a prostitué à un autre… C’est dans cette partie où on annonce la mort de De Ciz. Il se conclut quand Mesa vit la trahison et la séparation.
L’influence augustinienne dans les lignes du Partage de Midi
Mesa assume clairement et complètement sa position de Sujet autobiographique réflexif et douloureux. En suivant le changement de ton qui pourrait facilement se remarquer dans le troisième acte, on remarque l’influence augustinienne à travers l’emblématique « Cantique de Mesa ». Il serait facile de l’attacher au dialogue familier et confiant avec Dieu d’Augustin dans les Confessions. Le 24 février 1905, le jour où Claudel apprend « l'affreuse trahison »de sa femme (événement qui va lui permettre de trouver la forme du scénario définitif de Partage), il remet en question le principe d'explication de sa destinée qu'il choisit pourtant à cette époque de mettre au premier plan : Mesa séduit et rejeté. De toutes les façons, nous voyons qu’il était déjà préparé par la lecture des Confessions de Saint Augustin. Là-dessus, il y a un supplément de créativité car nous ne pourrons pas le grimer en Chateaubriand ou en Rousseau. Ces fameux littéraires restent des hommes de lettres quand ils se confessent mais Claudel sans toutefois le rivaliser au saint patron des autobiographes, confesse ses égarements et exalte la bonté de Dieu sous la forme d’une autobiographie.
Ainsi, en analysant le Cantique de Mesa, Claudel confesse comme un moribond qui veut rejoindre ces ancêtres. Se souvenant de son expérience spirituelle de 1886, où il dit qu’un jour, il avait inventé d’être à Dieu, Mesa se montre dans un doute existentiel comme Saint Augustin qui se demanda : « Qu’êtes-vous mon Dieu ? » Aussi, Claudel en le personnage de Mesa confessa à Dieu : « Sans doute je ne vous aimais pas comme il faut mais pour l’augmentation de ma science et de mon plaisir. » Voilà qu’il tombe dans le même gouffre que Saint Augustin qui reconnaissant ne pas tirer de son savoir plus de joie ; c’était un moyen de plaire aux hommes, non pour les instruire, mais seulement pour leur plaire.
Par ailleurs, nous voyons l’influence du néo-platonisme dans ce cantique de Mesa où le désir de mourir pour rejoindre Dieu, d’aller ailleurs loin de cette femme se matérialise par le grand désir de sortir de ce corps misérable. Mésa dit : « sortons, mon âme et d’un seul coup éclatons cette détestable carcasse. La voici déjà à demi rompue, habillée comme une viande au croc, par terre ainsi qu’un fruit entamé. » Les traits d’inspiration du mythe de la caverne de Platon se font explicitement voir dans les Confessions de Saint Augustin pour ses progrès vers Dieu. Pour l’Evêque d’Hippone, le corps est sujet à la corruption, il alourdit l’âme et cette maison de boue abaisse l’esprit qui se disperse en mille pensées. A la fin de ce cantique, il devient témoin d’une vie horrible incapable de supporter d’être sourd et mort car il ennuie le monde, il est un scandale et une interrogation. D’où il demande que le Seigneur puisse le reprendre et de lui cacher en son giron. C’est ici où on peut trouver la raison d’être des confessions augustiniennes qui restent parallèles à cette autobiographie de Claudel. Les confessions de Saint Augustin s’adresse à toutes ces personnes qui le connaissent extérieurement mais avec l’intention de croire que ces personnes veulent l’entendre confesser ce qu’il est intérieurement, là où ils ne peuvent appliquer ni l’œil, ni l’oreille ni l’esprit.
En somme, Ce drame de Paul Claudel est porteur d’un message d’espérance à tous nos contemporains qui ne cessent de traverser les crises diverses. Jamais les suicides ne pourront résoudre le problème mais Paul Claudel nous révèle à travers ce drame que ce qui existe comme ce qui nous arrive dans la vie a un sens.