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L’eugénisme au travail…

L’eugénisme au travail…

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Certains mots de notre langue sont porteurs de plus de sens que d’autres… Ils résonnent plus en nous et nous ne laissent pas indifférents.

 

Travail : n.m., du bas latin tripalium, etc.

« Travail » appartient à cette catégorie. Dès le plus jeune âge, le travail nous est imposé par un système auquel il est quasi impossible de se soustraire : maternelle, primaire, collège, lycée, contrôles, examens… Nombreux également sont les contes et dessins animés où le travail est au centre de l’histoire. Le père adoptif de Pinocchio n’était-il pas menuisier (métier répandu pour les pères adoptifs de personnages importants…) ? Par une nuit, c’est grâce à son travail qu’il a engendré une marionnette appelée Pinocchio. N’est-ce pas également grâce au travail du père Noël que les enfants ont des cadeaux, du travail des cigognes si les enfants arrivent dans un foyer ?

La mythologie, les textes sacrés ne sont pas non plus en reste sur des exemples concrets de personnages ou de récits autour du travail. Et dire qu’Hercule n’avait que douze travaux à réaliser ! Recenser les contes, textes, récits mythologiques ou textes sacrés où le travail est au cœur de l’intrigue relèverait d’un treizième travail qui ferait de moi le nouvel Hercule 2.0.

Le travail ne nous laisse pas indifférents, il s’impose à nous et nous marque dans notre chair ou notre intellect, c’est par le travail que l’on devient ce que l’on est et qu’on évolue, qu’on se spécialise dans un métier, que l’on progresse dans un sport, dans un art. Ecoutons SOPRANO et Marina Kaye, « l’Everest » de SOPRANO est passé par « un travail assidu et forcené sans lâcher ses valeurs et avec de nombreux sacrifices » 

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Eugénisme : n.m., Ensemble des recherches (biologiques, génétiques) et des pratiques (morales, sociales) qui ont pour but de…

Le mot « eugénisme » raisonne également, sans nul doute. Prononcer ce terme suscite inéluctablement une réaction : indifférence, incompréhension, curiosité, malaise ? La réaction est nécessairement induite par sa propre expérience ou ses lectures, ses convictions ou même l’absence de convictions… Les personnages qui pourraient représenter le mieux ce terme ne sont pas des gentilles cigognes, ou des Pinocchio légèrement écervelés, les histoires liées à l’eugénisme ne se racontent pas dès le plus jeune âge à tous les enfants ! La logique d’une politique ou pratique eugéniste, que celle-ci relève de la conception positive de l’eugénisme (favoriser les caractères bénéfiques) ou négative (éradication des caractères jugés handicapants) ne peut laisser indifférent et conduit nécessairement à des débats à la hauteur des exactions et des horreurs commises ou imaginées au titre de pratiques eugénistes. L’eugénisme c’est un peu comme l’affaire Dreyfus ou l’affaire Fillon, aborder ce sujet suscitera un débat qui pourra être fratricide dans votre groupe alors que le déjeuner se passait bien jusqu’à présent…

Eugénisme et Travail sont donc des mots qui à eux seuls sont porteurs de sens et résonnent en nous. Ils nous ramènent, pris séparément, à notre condition humaine et à notre histoire personnelle et collective.

 

Eugénisme au travail ?

Mais ces mots aussi peuvent se conjuguer, se marier tout au moins peut-on parler d’Eugénisme au travail. L’association de ces deux mots peut choquer, paraitre trop exagérée et pourtant ! Le monde du travail ne favorise-t-il pas les caractères « bénéfiques » en clonant les comportements, les attitudes, les pratiques managériales ? Un exemple concret : n’existe-t-il pas un dress-code dans votre entreprise (bien souvent non écrit) qui fait qu’à la moindre déviance, vous avez le droit à des réflexions amusées, positives ou négatives sur la couleur de votre pantalon, sur votre cravate, sur votre jeans ? N’avez-vous jamais entendu : « Bonjour, Monsieur le Directeur » car vous aviez mis pour une fois une cravate ? Ou « Tu te maries ? » parce que vous aviez mis un tailleur, ou encore « C’est cool aujourd’hui » car vous étiez en jeans Levi’s chic et basket New Balance (tout de même) ?

Ces exemples sont des mélanges d’eugénismes positif et négatif : vos collègues et votre hiérarchie vont petit à petit chercher soit à vous mettre dans un moule vestimentaire soit à vous montrer que vous n’êtes pas dans le moule de l’entreprise, au risque d’être désigné comme atypique !

Certains caractères également au travail peuvent être jugés handicapants dans le monde du travail. Ce problème se pose surtout dans le cadre de grands groupes ou de structures étatiques, les PME sont plus préoccupées par leur survie que par la couleur du pantalon de leurs salariés…

Il est assez rare en effet dans les grands groupes et au niveau de la masse laborieuse (en dehors des cadres dirigeants) de voir des caractères tranchés, des personnes sortant de l’ordinaire, marquées dans leurs positions et dans leurs attitudes. Ces rares bipèdes étant soit appelés à devenir rapidement dirigeants, soit inéluctablement rejetés du collectif car trop atypiques et sortant du moule ! Bouger les lignes oui mais pas à tous les niveaux ! Et dans le bon sens ! N’est-ce pas là une forme d’eugénisme silencieux et d’une violence inouïe ? Car que diable pour ce fameux travail, on donne de sa personne, de son temps et de son énergie ! Au quotidien, nous n’avons rien à envier à Hercule…

Et cet écosystème peut vous envoyer dans les entrailles d’une fournaise parce que vous êtes ce que vous êtes et que vous ne correspondez pas au clone que l’on voudrait que vous soyez. Ecarts parfois sur des détails qui dérangent ! Il jouait du piano (mais) debout… qu’est-ce qui vous dérange ? disait France Gall dans l’autre siècle… C’est exactement pareil dans le monde du travail…Il fait bien son travail MAIS… porte trop de cravates !

Cette forme d’eugénisme est d’autant plus violente qu’elle est insidieuse et silencieuse. Sa violence tient également dans le fait qu’elle va à l’encontre de deux grands principes de morale moderne mis en avant par la plupart des entreprises : le respect de la diversité, la responsabilité sociétale de l’entreprise et le développement durable.

L’eugénisme au travail se percute effectivement avec la logique du respect de la diversité au travail. C’est un peu comme s'il y avait une bonne diversité (origine, pratiques sexuelles, handicap physique,..) et une mauvaise diversité (comportement différent, façon de parler, d’exposer ses idées…) Ou comme s'il y avait toujours une façon de racheter sa diversité : tu es handicapé mais tu es champion de sport, tu es homo mais n’es pas tarlouzé, tu es noir mais tu n’as surtout pas d’accent ! Et une autre façon d’être accusé de ne pas être « de la diversité », d’être trop normal et donc interdit par conséquent d’audience, contraint à la congruence entre notre paraître et les représentations de la société.

La responsabilité sociétale et le développement durable insistent beaucoup sur la place du salarié dans l’entreprise et sur sa santé morale, sur la notion de bien-être au travail. La bienveillance au travail pour le bonheur des salariés oui mais pas par tous les salariés ! Seulement ceux qui sont dans l’axe… Lieu de valorisation pour certains, goulag pour les autres, l’entreprise unique est vécue différemment selon les salariés. Que vive l’eugénisme au travail !


Apologie de la désobéissance au travail
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