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Nabe, écrivain fauve et coupeur de têtes

Nabe, écrivain fauve et coupeur de têtes

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C’était la troisième et dernière semaine d’expo de peintures pour Marc-Edouard Nabe à Aix en Provence. Plus de 3.000 visiteurs sont passés devant les quelque 250 têtes peintes par l’écrivain. C’était l’expo à ne pas louper, l’événement artistique le plus marquant depuis le suicide de Venner, et nous l’avons loupé. Heureusement, Nabe a pensé à tout, et il nous donne tous les types dont il a refait le portrait à contempler. Heureusement, nous avons pu suivre les anecdotes autour de l’expo grâce à Tweeter et aux newsletters. Heureusement car nous avons très envie d’en parler. Envie de débusquer l’ironie jouissive à l’œuvre dans les portraits comme processus narratif et envie de comprendre la crise existentielle de Nabe qui le pousse toujours à vouloir appartenir à un monde qu’il vomit.

Nabe fait son festival


« Tout Paris se fout de votre gueule, bande de Ploucs » Voilà ce que l’on pouvait lire sur une affiche du cours Mirabeau. C’est excitant, on se croirait presque revenu aux insultes Dada, Nabe voulant faire revivre une époque intellectuelle qui n’existe plus à l’heure où tout n’est que tourisme et consommation de culture, à l’heure où l’événement prime sur l’œuvre. L’expo se voulait un pied-de-nez à Paris en pleine saison des festivals dans la région la plus touristique de France. C’est un paradoxe. Plus exactement, c’est le piège de la nécessité d’exister. Marc-Edouard Nabe voudrait tellement exister qu’il en est réduit à tenter de créer l’événement. Comme les autres. Le vrai paradoxe est cette volonté d’être reconnu par un monde qu’il vomit, en utilisant les moyens les plus vils comme l’événement (anti ou non).

Encore une fois, Nabe, tel Don Quichotte, va combatte la société matériellement correcte. Pour faire exister des livres, il dit qu’il aime Ahmadinejad. Pour faire l’écrivain de génie, il joue aux antisémites. Pour faire vivre ses toiles, il fait son festival. Ainsi va son personnage, pure organe de ses livres, dont la seule vocation est de faire exister l’œuvre de l’homme. Cette vocation, il l’avait anticipée. Il a toujours su que cette société serait incapable de reconnaître ses talents, que ce monde ne le verrait qu’à peine. Mais comment un monde aussi méprisable ose-t-il l’ignorer ? Nabe pensait qu’il était difficile d’être aimé par des cons, il éprouve la douleur existentielle d’être ignoré par des cons. On a beau les insulter, ils continuent leur chemin, parfois, c’est pire, ils entrent dans la galerie, et minaudent avec un demi-air de fan pour acheter au rabais ces toiles qui leur crient en pleine face. On a envie d’aider l’écrivain et de crier comme un Dada « bandes de ploucs, pour une fois qu’on ne vous présente pas un art conceptuel, pour une fois que des tableaux n’ont pas de messages à délivrer, pour une fois que des peintures ne demandent qu’à être contemplées, REGARDEZ ! »

Ironie jouissive


Les œuvres exposées à Aix ont heureusement mérité tout le pathétique de ce faux anti-événement voulu par l’écrivain. Comme toujours avec Nabe, il faut savoir dépasser le fétichisme de son autopromotion pour découvrir le style, le cri, l’incarnation. La série rassemble 250 portraits d'écrivains comme Proust ou Kafka, de poètes comme Rimbaud ou Verlaine, de tous les jazzmen qu’il affectionne et particulièrement Monk, de révolutionnaires, philosophes, peintres, et même de Jimi Hendrix et de Thérèse de Lisieux. Si l’expo se déroule à Aix, ce n’est pas seulement pour faire festival, c’est aussi que la quasi totalité de cette production a été peinte à Aix même, de septembre 2012 à mai 2013. Au premier regard, on voit du dessin, et c’est juste car la peinture de Nabe est faite de traits, traits pour le contour, traits pour la couleur. Certains portraits, comme celui de Gandhi, semblent tout droit sortis d’une BD et on aime simplement sans avoir à faire de grands discours.

D’autres têtes intriguent et semblent crier. C’est d’abord le travail de la couleur, osé, intuitif, semblant épouser non pas la forme du visage mais son mouvement, parfois son mouvement perpétuel comme pour Fats Waller. En combinant des couleurs criardes opposées, en les isolant les unes des autres sur une même face grâce au marqueur, Nabe peint tout et son contraire, c'est-à-dire un caractère, un personnage. Ainsi sont faits les êtres. Les couleurs permettent un jaillissement quasi mystique, comme pour le Che ou Thérèse de Lisieux bariolés. Digne héritier des fauves, il fait subir à ce qu’il observe le « dynamitage des couleurs », « l’épreuve du feu »1. Si nous osions rapidement comparer les peintures du génie littéraire, nous le ferions avec Edouard Pignon2 qui peint des êtres hauts en couleur en soulignant de noir leurs contours, leurs formes cachées par les vêtements, leurs rides. Mais il ne faut pas abuser des comparaisons, cela nuit aux vivants.

Fats Waller à la chemise jaune Marquis de Sade 1
21x28cm Marqueur sur papier 2013 17x22cm Marqueur sur papier 2013



Si les têtes nous crient quelque chose quand on sait les contempler, c’est aussi par la vivacité du geste suggéré par le mouvement du trait. Nabe souligne les visages avant de les raturer, donne une forme, suggère le lieu où commence l’ombre. Et c’est l’expression qui est ainsi prolongée au-delà et en-deçà de la photographie dont sont issus les portraits. La couleur vient parfois surligner ce contour pour montrer que l’être en mouvement déborde. La couleur vient aussi raturer le visage, le gratter pour le révéler. Le trait rejoint la couleur. Pour mettre de la couleur, il gribouille, raye. Le trait c’est l’écriture, et Nabe ne peut cesser de faire des traits. Toutes ces personnes sur lesquelles Nabe a si souvent écrit, et sur lesquelles il continue de tracer des traits…

Le Che bariolé Thérèse psychédélique 1
21x28cm Marqueur sur papier 2012 17x22cm Marqueur sur papier 2012



Avec 250 portraits, Nabe nous livre la tête de ceux qu’il a aimés. Et quand il aime, il décapite. Et quand il décapite, il jouit. Et cela se voit dans le trait et dans la couleur, dans le trait de couleur et dans le désir de l’auteur de créer l’événement, à côté du monde. On ne peut oublier l’écriture avec Nabe. Jamais. On ne peut oublier son caractère sacré. Nabe a toujours rendu grâce de son talent pour faire des gens ses choses, faire du monde son bilboquet, ses osselets, son casse-tête chinois privatif. Un peu fétichiste sur les bords. Nabe avait dit que son colt, c’était son stylo, qu’il assassinait avec, qu’il tuait toutes les personnes qu’il couchait dans ses livres. Il fait de même avec la peinture en décapitant ceux qu’il aime. Pour le plaisir d’écrire.

  1. Expressions utilisées par André Derain
  2. Voir l’exposition de tableaux d’Edouard Pignon à Collioure : « femme en Méditerranée : Catalanes à Collioure, été 1945-1946 »

La mémoire longue (entretien avec G. Engelvin) 4
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La galerie d’art 2015 de MN
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Nicolas Poussin
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