Jacques Loussier entre ironie et joie
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Jacques Loussier entre ironie et joie
Aux mémoires hautes et vives de Michel Déon, de Claude Brasseur et de Pierre Vernier.
— Jacques Loussier et ses dons : ce romantisme allègre et tragique, mélancolique et vivant.
— Qu'est-ce que ça va faire comme vide… J'en ai le vertige.
— Ferme les yeux… Et pense à la mer.
(Rocambole : Les Etrangleurs).
Il y avait chez Jacques Loussier, dans son art plein et délié aussi de compositeur pour la télévision, et particulièrement dans la transposition épique et ironique des aventures de Rocambole, toutes claires dans l'usage des cordes : à la fois de l'ironie, une ironie ou une joie allègres et tenues, mais aussi, avec franchise et sincérité tranquille ou sensible, de la mélancolie, une mélancolie romanesque et romantique dans les mêmes tempi. Et la musique suivait bon train les chevaux, sauvages ou non, les calèches, les fiacres, les pataches ou les bons marcheurs…
Excentrique et amer, subtil et rempli de songes, le don musicien de Jacques Loussier m'incite ce soir, ou me plonge avec étonnement, dans une forme d'éloquence au seul service des notes bien goûtées, aimées.
On retrouverait je crois aussi cette allégresse et cette mélancolie jouées et déjouées autant qu'enjouées dans les artifices et les ardeurs, les vivacités de mélodiste accompli de Jacques Loussier dans la totalité de ses partitions de télévision, par exemple dans les Nouvelles aventures de Vidocq et jusqu'aux transpositions des Poneys sauvages que Loussier illustrait en musique dans la belle adaptation du roman de Michel Déon. Cette mélancolie rêveuse et émue autant que tragique, tour-à-tour lente ou rapide était un accomplissement habile autant que total.
Elle reste, à chaque écoute attentive ou distraite, mais pour toujours intacte. Présente et active. Et, disons-le, le charme de cette musique est immense et aigu, aiguisé et doux, rempli d'une vie souple et rieuse, qui vient de la nuit, qui fait le jour revenu d'étranges vides et qui installe en force une vague de tristesse soudaine et rapide que l'on comble en contemplant la mer, quitte à fermer les yeux et à ne la saisir que dans une réserve intérieure.
Chez Rocambole comme chez Vidocq, la gaîté, la vigueur et la mélancolie amoureuse ou sauvage, mesurée ou non, triste ou rapidement alignée ou engagée vers la tristesse, tout un monde d'émotions et de risques enfin s'exprimait certes par le fin talent des comédiens, par la rigueur dynamitée ou par les rythmes choisis en lenteur ou en élans de la mise en scène, mais d'abord ce monde était complet et, avant tout, il était servi et réalisé par la musique.
Loussier quand il servait la télévision se révélait sans cesse ni hésitation aucune un magicien des équilibres, un mélodiste de haute et fière finesse. Qui valait les pages de Chateaubriand sur le choléra parisien de 1832, et leurs courses de corbillards, ou quelque page allègre d'un Balzac prétendument inattendu.
Loussier ? Un artiste, en nocturnes ou en clartés poétiques, mais absolument. L'artiste, comme Rocambole, décidément. Une certaine frivolité trompeuse nous était donnée, par lui, entre les années 1960 encore jeunes et le début des années 1980 débutantes, mais elle s'augmentait aussi d'une belle, très belle et très vive, d'une brûlante et noueuse forme de nostalgie, de beauté contemplée, de fidélité aventureuse, romantique et grave autant que gracieuse jusqu'aux degrés les plus hauts de l'incandescence. L'art mélodique français (devenu aussi un vrai et plein art de la musique de films, films télévisés ou non), décidément avait perdu trop en perdant Jacques Loussier. Il faut de temps en temps accepter de ne pas oublier cette perte. Irréparable.