Sidney Bechet : la bagarre, la clarinette, le saxophone et la petite fleur
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Sidney Bechet : la bagarre, la clarinette, le saxophone et la petite fleur
Sidney Bechet peut se résumer, un peu abusivement, par quelques mots : la Nouvelle-Orléans, la bagarre, la clarinette, le saxophone et la petite fleur. On peut le silhouetter aussi avec ses instruments et son phrasé musical dans les rues d’Antibes ou sur la Croisette cannoise, déjà hantée par le festival du cinéma et ses foules, plus rieuses alors mais pas moins tapageuses. C’était pourtant un être subtil, un musicien profondément original. Sidney Bechet, c’était l’une des plus fortes, l’une des imposantes, l’une des légendes pionnières et ferventes de cette musique dont le nom a des sources secrètes, des mystères gravés en notes, en rythmes et en croches : le jazz.
Si le jazz vient d’Amérique, ses liens avec la France sont connus, notamment par les travaux du premier vrai historien de cette musique merveilleuse qui porte en elle toutes les nuances, toutes les tendresses et toutes les douleurs ou les chagrins de l’âme et du cœur humain, ainsi que tous les mouvements, les élans ou les allures des corps. Cet historien, rigoureux, rigoriste, chaleureux et passionné, c’était Hugues Panassié, qui fit redécouvrir le jazz à une Amérique oublieuse. Il naquit en 1912 et prit le chemin des notes, la route des banjos et des trompettes du ciel en 1974.
Sidney Bechet, que Panassié appréciait tant, lui était né le 14 mai 1897 à La Nouvelle-Orléans, vieille terre marquée encore profondément par l’ancienne présence française. Ponctuel involontairement, Bechet mourut à Garches, loin de son Amérique natale donc, le 14 mai 1959, le jour même de son soixante-deuxième anniversaire ! À La Nouvelle-Orléans, au milieu des années 1910, Bechet le Créole, dont les origines françaises du nom et de la lignée sont en Haute-Savoie, se forme sur le tas, mais avec de grands musiciens, ceux de la famille Tio.
Bechet débute en 1919, dans un orchestre dont le patron, qui est le musicien, instrumentiste et compositeur Will Marion Cook, refuse d’utiliser le mot jazz (qui vient de l’argot, caractérisant l’énergie d’un joueur de baseball par exemple, ou aussi des parfums au jasmin que les Français vendaient à La Nouvelle-Orléans). Cet orchestre, c’est le Southern Syncopated Orchestra, qui se produira notamment à Londres, avec Bechet en vedette comme clarinettiste soliste. Un chef d’orchestre, le Suisse Ernest Ansermet, voue alors une grande admiration à Sidney Bechet ; il écrit de lui : « Bechet ne peut rien dire de son art, sauf qu'il suit sa propre voie… et c'est peut-être la route sur laquelle le monde entier swinguera dans l'avenir. » Le pronostic était juste. C’est à Londres, après un crochet par Chicago avec un trompettiste et un pianiste, que Bechet découvrira le saxophone soprano, grâce auquel il produira le timbre, le son mélodieux et palpitant, le plus marquant de son génie : son vibrato singulier.
1924 voit Bechet de retour en Amérique, dans la formation musicale d’un autre génie, Duke Ellington. Bechet est indiscipliné ; son absentéisme lui nuira. Il devient un personnage sans le savoir digne des romans jazzés de Francis Scott Fitzgerald : Bechet incarne la génération naïve et rayonnante, sauvage aussi, de la jeunesse du jazz, rescapée mais broyée aussi au terme de la Grande Guerre. Bagarreur, dans les années 20, il sera expulsé d’abord d’Angleterre, puis de France pour une poursuite et une dispute conclues au revolver au milieu des banjos et des bistrots, sans victime, et passant, comme au jeu du Monopoly, par la case prison, sans toucher le pactole. L’Amérique et New York surtout, voilà ce que retrouvera Sidney Bechet jusqu’en 1949.
Mais, devenu l’un des compositeurs majeurs du jazz, restant à la fois le rénovateur et le garant aussi de sa plus séduisante tradition sonore et mélodique, Bechet retrouvera alors la France et Paris pour un triomphe définitif. Dès lors, Bechet le bagarreur, Bechet l’instrumentiste improvisateur absolu, Bechet le passionné deviendra, avec son ami Louis Armstrong, le symbole du jazz le plus fin et exigeant, le plus subtil. Et le plus souriant, chaleureux et vibrant des maîtres incontestables de cette musique simple et souple, franche et rigoureuse. Bechet s’installe en France alors, pour toujours, lui dont la vie devient alors une légende populaire, un récit au charme médiéval et mythologique, une belle histoire transmise en imprimés et en photos par les disques Vogue. Bechet s’impose enfin, aux derniers sauts de son parcours, lui dont l’art sait composer des thèmes eux aussi populaires, à l’écho mondial, comme Petite Fleur.
À sa mort, en 1959, il laisse un patrimoine de compositeur et d’interprète immense, remarquable aussi par son ballet : La nuit est une sorcière, quelques musiques de films noirs à la française, ponctuées de notes et de coups de feu. Maître du jazz vivant, associé notamment à Claude Luter, Bechet reste depuis sa mort un génie intact : ses versions de Blue Horizon, d’Out of the Gallion, de Dans les rues d’Antibes, de Weary Blues ou de Summertime en apportent, à chaque écoute, la preuve parfaite et généreuse ! Nicolas de Staël, peintre aussi mystérieux et fervent que le jazz, dédia à Bechet deux toiles : les artistes se rencontrent toujours par des chemins secrets, les notes et les couleurs !