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Mustafa Kandirali, Sydney Bechet de l’Orient

Mustafa Kandirali, Sydney Bechet de l’Orient

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La question n’est pas de savoir qui connaît Mustafa Kandirali, cela reviendrait à s’enorgueillir facilement de la grâce de faire partie de ce petit groupe d’élus. La question plus juste pourrait être pourquoi ce musicien essentiel n’est pas plus écouté en Occident, mais l’urgence revient surtout à le faire connaître, à le faire écouter. Il faut bien que la chair vibre pour manifester l'immortalité de l'âme. On peut en causer, mais il faut aussi vous donner le goût de vous laisser enjazzer par ce souffle chargé de sel et de sable, chargé des siècles de civilisation méditerranéenne.

L'homme qui remplit les stades


Mustafa Kandirali est né en 1930 à Izmit Kandıra Crash en Turquie. Il est impossible de visiter aujourd'hui ce pays sans l'entendre à la télévision, dans les rues, dans les taxis ou à la radio. Il incarne dans son souffle cet élastique culturel entre l'orient et l'occident typique de l'identité turque. Il a été surnommé le "Benny Goodman du Proche-Orient" du fait de son swing. À Istanbul, après avoir assisté à un de ses concerts, Louis Armstrong avait d'ailleurs invité Kandirali à une jam session. Il fut de ce fait un des rares orientaux à tourner dans les années 60 aux États-Unis. Que ce clarinettiste soliste remplisse les stades de football ne devrait pas nous surprendre et pourtant nos radios de jazz, nos festivals, de Marciac à Vienne, et nos rayons de disques à la Fnac, sont désespérément vides de ce son qui vibre avec force et âme. "Ce n'est qu'une question de temps avant que son statut de génie de la musique du XXème siècle soit universellement reconnu." concluait avec espoir Mark Hudson, dans le Daily Telegraph 1. Pour l’enregistrement Caz Roman, il est accompagné des meilleurs solistes au canun, cithare trapézoïde, aux darbukas, aux bongos et au luth.


Un swing de la Méditerranée.


Nous pourrions résumer sa façon de souffler dans sa clarinette avec les adjectifs relatifs à un jazz classique, au rythme et à l’enchevêtrement des séquences de style quasi New Orleans. Cependant, il y a dans le vibrato qui accompagne ce swing une âme saturée par la lumière de la méditerranée. L'entendre, c'est systématiquement avoir la sensation de se réveiller pour se rendre à une fête en matinée. Il y a une approche quasi ludique dans la composition des différents éléments musicaux populaires, classiques, issus de la danse du ventre, et bien sûr, du jazz, … Il ne serait pas surprenant que sa virtuosité nous emmène jusqu'à l'extase !

La couleur de ce jazz est clairement issue d’un blues nouveau. Il ne s’agit pas d’un peuple d’esclaves qui prie et se plaint en psaumes chargés de comptes à régler. Il s’agit davantage d’une nostalgie permanente du cœur de la civilisation. Une nostalgie de centre du monde. Il y a des vagues dans la musique de Kandirali, et c’est lui qui souffle pour les créer. Cette musique inspire au surf, il nous pose sur le son et nous envoie vite au loin dans un speed grisant, avant de venir nous rejoindre pour jouer à nouveau avec nous. Et le boum boum se croit dans un grand-huit, jouissant d’être mis à l’épreuve et toujours raccompagné par un geste phonique en surabondance du musicien.


L’élévation du son


Kandirali a une façon d’insister sur un son propre au jazz, mais il va jusqu'à le servir au risque de perdre le souffle. Peut-être la vie. Du moins, on peut y croire. Tant qu’il reste de l’air, il faut le donner. Il agit comme pour une élévation interminable, qui seule peut remettre l’âme humaine en question au regard de ce qui lui est offert. Ce que ce Sydney Bechet de bazar nous offre est une liturgie festive pour célébrer l’élément qui permet la musique : le son. Son vibrato qui se dandine ressemble à cette main trop consciente de son rôle et qui tremble un peu en élevant le Verbe au dessus de sa tête. Le silence est court, la pause infime, il relève le bec aussitôt pour célébrer dans la joie avec tous, la performance passée. Les chapiteaux de Marciac et d’ailleurs ne se seront toujours pas ouverts à la Méditerranée en 2013, pas ouverts à l’origine du souffle. Préférant s’ouvrir à la variété vieillissante comme celle de Joe Cooker. Préférant inviter toujours les mêmes avant qu’ils ne meurent. Aller se produire à Marciac, c’est avoir la quasi certitude de se voir rendre un hommage sous 5 ans. Kandirali est vieux, mais d'un monde ancestral. Nous avons encore à hériter de lui. Nous avons encore à nous relier à la lumière et au sel.


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