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Dominique A lyrique et fragile

Dominique A lyrique et fragile

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Dominique A est en tournée avec l’orchestre de chambre de Genève. Le 30 novembre dernier, il était reçu à l’auditorium de Lyon. Il a choisi quelques chansons à relifter, c’est David Euverte qui a réalisé les nouveaux arrangements afin de passer du rock au symphonique. Dominique A a trouvé un nouvel écrin pour sa voix, il a accepté de lui donner la première place et renoncé à la cacher derrière l’électricité. Cette volonté d’utiliser l’orchestre avait été initiée par l’album Vers les lueurs en 2015. « Le chef de fil de la chanson minimaliste du début des années 90 » comme dirait Bernard Lenoir, avait dès lors opté pour la sonorité. Aujourd’hui, les cordes soyeuses et généreuses, la harpe aquatique et têtue, les bois élégants et grâcieux, les cuivres arrogants et précis, les percussions espiègles et discrètes, … tout trouve une place dans le dos du chanteur, et forme une couche pour sa voix. En trente ans, Dominique A nous a fait passé d’une poésie de l’austérité à l’évidence d’un lyrisme. Et pourtant tous ses débuts sont encore là, le sourd (cf. le disque sourd, disque auto-produit par Dominique A en 1991) est à l’intérieur de l’orchestre d’aujourd’hui. Une obscurité dans la lumière, mais restant non saisie par la lumière. Quelque chose qui s’enracine dans l’obscurité pour la dépasser. On retrouve le sourd sous l’abondance de sons.

Le premier titre qu’il interprète est un titre de la Fossette, album de 1992, Nous marchons sous la neige. Rien n’a changé, toute sa jeunesse est là. Tout sera comme avant… La voix nous saisit immédiatement. La grâce s’élance, s’excuse de sa fragilité. L’essentiel est porté par la voix. Depuis longtemps déjà, Dominique A nous a révélé que tout son projet réside dans sa voix, la mince élévation de l’âme. Depuis Auguri, la voix est clairement, de façon décomplexée, et en nuances parfois osées, au premier plan. Loin devant. Le rock était un véhicule comme un autre, comme une musette. Le rock a laissé la place à la formation symphonique qui laissera sa place à son tour au trio épuré. Rien qu'une formation musicale.

Une signature se retrouve dans le rythme qui est respiration inquiète, dans la tonalité entre deux eaux, dans la voix presque non genrée, dans la phrase vibratile. Une signature. Un vibrato donc, mais sans trop de puissance et derrière, tout le temps, comme un roulement de tambour, des saccades, une perpétuité, des bottes qui avancent inéluctablement. La marque de fabrique est reconnaissable sous le souffle des instruments. Le chant est tout à la fois obstiné et résigné. Il n'est jamais totalement dépressif, il est vivant et conscient de sa précarité.

 

L’essentiel de l’artiste est dans l’écriture et l’interprétation, dans la composition et l’incarnation. Venons-en aux mots. Ils véhiculent tout ce qui circule à l’intérieur de l’être : l’espérance, le désir de l’invisible, la fragilité congénitale, le sentiment d’usurpation, … Ils sont ce qui font de nous des réceptacles insatiables. Des phrases qui nous hantent dans leur vague. « Allons dans un sentier où la lumière est franche, nous parlerons sûrement de partir quelques jours. » L’entêtement nous guette. Un mystère envahit les mots comme un léger brouillard, ce qui semblait évident devient énigmatique. Les phrases qui nous restent sont de véritables séquences mystiques, aux échos qui remontent « inlassablement et chaque fois trouvent une place » entre notre ventre et notre souffle.

Puisque c’est un spectacle, jetons un œil au funambule qui danse comme il chante, sur une lame de rasoir. Le chanteur danse. Il prend ses mains pour des ailes, elles sont trop lourdes. Je l’avais qualifié d’Albatros du rock dans un vieux papier. Aujourd’hui, il est comme le revers du chef d’orchestre auquel il tourne le dos, sa caricature folle et accidentée. Il en est l’image inversée. Dos à dos, l’ordre et la grâce se cherchent et se devinent. De toutes façons, c’est normal qu’il ose danser, le sublime ne peut être atteint qu'au risque du ridicule. Avec ses gestes saccadés et patauds, c’est pour rendre grâce qu’il fait le danseur. C'est la maladresse qui est le témoin de l'incarnation.

Le forçat s’est métamorphosé en danseur, le son sourd est devenu lyrique, nous participons à une métamorphose perpétuelle. L’artiste est obsédé par un seul chemin, celui qui va vers les lumières encore et toujours. C’est son leitmotiv depuis trente ans, les lumières… Ce que nous voyons est toujours en cours et ne sera jamais achevé. Pourquoi ne pas se dire immortels ?

 

Il propose de finir par quelques tubes, enfin des titres qui sont des tubes pour lui et nous, car le grand public est une fosse trop vaste. Et dire que l’auditorium était plein ce 30 novembre, alors que nous n’étions que 10 à Montauban en 1996. Il est étonnant de se retrouver nombreux en 2024 alors que j’ai le sentiment que ses chansons ne peuvent parler qu’à moi. Il faut dire qu’à un moment, j’ai pleuré. « Si seulement nous avions le courage des oiseaux, Qui chantent dans le vent glacé »

 


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