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Lazare, héros de Sébastien Lapaque

Lazare, héros de Sébastien Lapaque

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Le héros de Sébastien Lapaque se nomme Lazare. Ce prénom n’est pas anodin quand on sait que dans les Evangiles Lazare est l’ami passé à trépas que Jésus a ressuscité d’entre les morts. Alors, direz-vous, quel rapport peut-il bien y avoir entre l’épisode biblique et le roman intitulé Ce monde est tellement beau ? Lazare, qui est professeur d’histoire et de français pour des jeunes de lycée âgés de quinze à vingt ans, fait soudainement l’expérience de la résurrection le jour où, un dimanche, il rencontre l’Immonde. C’est une conversion pour lui, non pas radicale comme celle de Saint Paul foudroyé sur le chemin de Damas, mais progressive et profonde ; en lui, la conscience naît de la monstruosité du monde moderne -ne pas omettre l’épithète « moderne » qui permet justement d’assimiler ce monde à l’Immonde-. Apporter un soin particulier à détester la modernité, voilà ce qui devient dès lors un projet digne d’intérêt et empli de grandeur, d’une esthétique supérieure. Ce à quoi, nous le lisons dans le roman, certains des amis de Lazare s’appliquent depuis longtemps.

Lazare : « Ce monde est tellement beau, cependant. Ses merveilles méritent d’être chantées par une voie profonde, ignorée, une voix forte et claire, pure et fraîche comme un ruisseau de printemps. La voix du cœur, oubliée. C’est cet accent singulier que je me suis obstiné à chercher au cours d’un épisode tourmenté du milieu de ma vie. Je tenais mon existence pour un relevé de comptes et il m’est apparu qu’elle pouvait devenir tout un poème. Au terme d’un long après-midi de l’âme, je me suis rappelé que la beauté du monde était une grâce […] Ainsi la beauté du monde, cette faveur qui n’appelle pas le rire, mais l’émerveillement, est-elle devenue inaccessible aux riches de la terre. » Alors, qu’en est-il de la genèse de cette conversion ? « Vers minuit, au mois de février, on reconnaît le pentagone du Cocher, les trois feux alignés d’Orion, le W de Cassiopée. Les constellations n’ont pas bougé depuis l’époque où Ulysse, installé à la poupe de son navire, les scrutait dans l’antique et primitive nuit grecque. Et nous avons besoin d’ordinateurs pour être heureux. Mon Dieu, rendez-nous des navigations aventureuses et des océans sans limites ! »

Ce dimanche de l’Immonde correspond au jour et à l’heure où le gloussement des ricaneurs est devenu insupportable à Lazare. Le jour de son entrée en résistance, ô joie de voir poindre enfin les lucioles de l’espérance voletant au cœur des nuits embrumées. Sophie, collègue du lycée, professeur de français, « était plus intelligente que ses pairs, mais ne disait jamais un mot contre personne. C’était une femme à qui l’on ne pouvait pas raconter d’histoires. A ses élèves, elle demandait « Attendez-vous essentiellement d’un roman qu’il vous plonge dans les pensées d’un personnage ? », « D’où provient l’émotion que l’on ressent à la lecture d’un texte poétique ? » ou « Estimez-vous qu’écrire des fables est futile ? » Et ceux-ci lui répondaient par des exemples empruntés au cinéma, à des bandes dessinées fantastiques ou à des romans pour adolescents. Voilà où nous en étions, en France, dans les premières années du XXIème siècle. C’était ça aussi, l’âge de l’Immonde. Une infantilisation généralisée et un abrutissement systématique. »

Lazare sait intimement qu’un monde est en train de disparaître : « A l’époque je ne pouvais pas m’en douter, je ne connaissais ni l’angoisse de l’amour ni celle de l’avenir. Mais je le comprenais maintenant : le sentiment de continuité entre les générations, entre les classes sociales et entre les étapes d’une même vie qui avait prédominé dans l’après-guerre n’était pas encore brisé à l’époque. Il était en train de se rompre secrètement, sans que personne, ou presque, ne le vît. » Une femme croisée incidemment incarne ce dans quoi il ne veut plus demeurer : « Brigitte Skidmore me rendait fou. Elle cristallisait tout ce que je détestais. Les gens doués pour comprendre notre époque et savoir l’aimer m’exaspéraient. »

« Le monde qu’on nous donnait à voir sur les écrans qui avaient colonisé nos vies n’avait rien à voir avec la réalité » constate Lazare lorsqu’il s’intéresse, par la grâce d’une rencontre féminine, à la disparition progressive des moineaux dans Paris. Imagine-t-on la possible disparition de ces plus petits et plus innocents ornements de la nature ? Non, parce que la télévision n’en parle pas. « Il est effrayant de penser que ce qu’on ne voit pas à la télévision et qu’on ne lit pas dans les journaux n’existe pas. »

La définition de ce qu’est l’Immonde ? « Le monde dans lequel nous vivons. Un monde qui n’en est plus un, un monde dont le visage est une absence de visage. »

Mais comment sortir de l’inexorable piège ? En écoutant la confession de l’ami de Lazare revenu à la prière : « Il n’y a pas mieux que la prière, ce mélange de bénédictions et de supplications pour nous libérer de la crainte du destin et de la mort. […] Croire, c’est d’abord avoir le courage de demander « Qui suis-je et qu’est-ce que ma vie ? » Prononcés dans l’humilité, sous le regard du Très-Haut, ces mots en quête d’une réponse divine constituent déjà une prière. Tu peux les répéter sans cesse. Il faut se laisser surprendre par la fréquentation de Dieu. Tout simplement. »


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