Manchette, Lettres du mauvais temps
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Lettres du mauvais temps, Correspondance 1977-1995
C’est un recueil regroupant plus de 200 lettres échangées avec des auteurs, des éditeurs, des maisons d’éditions, et aussi des correspondants étrangers traduites de l'anglais, couvrant la période où il a commencé à archiver méthodiquement sa correspondance jusqu'à sa mort.
De longues lettres allant parfois jusqu’à 12 pages comme celles échangées avec Paul Buck, Jean-Pierre Manchette préfère la correspondance aux conversations téléphoniques. Ecrivain numéro un du roman policier de gauche, c’est ainsi qu’il se présente à Paul Buck , il avoue qu’il a eu de la chance (et un peu l’intelligence) d’être étiqueté ainsi en ajoutant qu’il est co-leader (avec ADG) du « nouveau » roman noir.
Dans ces lettres on découvre les relations entre ADG et Manchette qui ne pouvaient que s’éloigner au vue de leurs divergences politiques. Au début Manchette avait une profonde admiration pour ADG : un style intéressant(..) il traite aussi de sujets très français ,très provinciaux. Manchette écrit à Pierre Siniac en 1977 : ADG(…) était surpris et navré de me découvrir plutôt de gauche alors qu’il avait lu mon premier bouquin et, du coup, me croyait d’extrême droite (…) En 1979 dans sa lettre à Pierre Siniac « le vilain petit canard de la Série Noire » :J’ai beaucoup d’estime, réellement, pour ADG, même si je n’ai pas ses vues politiques (..) Je me risque à penser qu’à nous trois nous sommes le « néo-polar ». Mais en juin 1987 : Qu’il soit hors de question que je trinque avec ADG, sans parler de rompre le pain, c’est une autre question, sans rapport avec le talent inégal de cet auteur, non plus avec les soucis politiques de ce petit salaud. Dans un autre courrier Manchette évoque son esprit libertaire et donc la liberté d’expression pour les fascistes comme pour n’importe qui d’autre. Certains ont dit que des échanges épistolaires ont eu lieu entre ADG et Manchette mais dans ce livre, il n’en est pas fait mention.
Il travaille beaucoup (des scénarios pour le cinéma, la BD) et est très exigeant avec lui-même comme avec les autres surtout dans ses traductions, cela donne lieu à de nombreux échanges au sujet de la précision de chaque terme, notamment dans ce domaine où il se documentait extrêmement bien, les armes. Selon le personnage, voyou ou policier, et même selon le caractère, les armes sont différentes. Cela constitue une lettre intéressante mais seulement pour les initiés. Avec son amie Anne Vergne, il peut être très ferme « Je te précise que je n’envisage nullement de publier dans le périodique que tu veux créer. » et avec Robin Cook très franc: « Je ne vais pas t’affirmer que ton français est excellent(…) je t’en prie, épargne-toi l’effort d’écrire en français. »
Il place l’amour de la langue au-dessus de la camaraderie et ainsi il peut dire que Fajardie écrit comme un salaud. A Ross Thomas il précise : « Je ne lis que du bel et bon français, c’est-à-dire des ouvrages des XVIIIe et XIXe siècles » On y trouve une variété de correspondants, souvent suite à leurs demandes, il répète son hostilité à toutes formes « d’animation culturelle » ; les échecs étant son passe-temps favori, il a eu des échanges avec le Grand Maitre Lev Polougaïevski.
Un courrier étonnant à ses voisins pour leur reprocher que leurs enfants le réveillent à 7h30 du matin : « Je vous serai donc obligé de discipliner vos enfants afin qu’ils soient silencieux le matin, ne galopent pas et ne fasse pas crépiter de petits objets sur le parquet. » Le pauvre ! Heureusement qu’il n’avait jamais habité en banlieue !
Gabriel Matzneff est évoqué pour lui reprocher non pas ses relations avec de très jeunes filles, mais qu’il soit chrétien.
Il écrivait dans Charlie Hebdo des critiques cinématographiques sur des films avant de les avoir vus, afin de démontrer que l’esbroufe suffit à donner à des critiques cinématographiques une allure parfaitement acceptable Des éditeurs voulaient les publier il écrit alors à Charles Tatum Jr Que plusieurs chroniqueurs et cinéastes de poids aient alors tenu mes chroniques pour ce qui se faisait de plus en plus intelligent, qu’ils l’aient dit et écrit, voilà qui ferait quelques lignes de plus, amusantes pour ceux qui voudraient se moquer de R., de B., de L.
La politique occupe une place importante, l’année 1988 fut sombre pour lui avec l’avènement d’un parti nazi. Etant proche de l’extrême gauche lors de sa jeunesse puis des libertaires et des situationnistes, Manchette écrit beaucoup de lettres sur ces mouvances et à cette mouvance. Ainsi on peut découvrir les courriers qu’il envoie à ces groupes qui voisinent dans le sillage du situationnisme comme l’ « Alliance pour l’opposition à toutes les nuisances », l’Encyclopédie des nuisance, les Editions Lebovici, Guy Fargette auteur du bulletin « Les Mauvais Jours finiront » en se plaignant qu’il ne reçoit rien, pourtant il leur avait payé très largement l’abonnement.
Il peut être féroce, comme l’atteste cette lettre à Noël Godin où il lui reproche de faire l’éloge de la révolte et celui de la simulation, sa lettre commence ainsi : « Ne te connaissant guère, je te prenais pour un aimable rigolo. Ayant reçu ton anthologie de la subversion carabinée et l’ayant en partie lue, je découvre que tu n’es ni aimable, ni rigolo, mais bête et malhonnête. Et se termine ainsi Et va chier. Je ne te donnerai plus de raisons de me remercier et me complimenter. »
Beaucoup d’inimitiés : (…) « je n’aime pas le groupe des gauchistes lettrés qui inclut Jean-Pierre Faye, Les amis de Potlatch se distingue que par l’inessentiel de nombreux textes analogues. »
Aux éditions Z’ Editions s’apprêtant à publier un livre sur le situationnisme intitulé Le situationnisme : ses idées, ses hommes où Manchette était considéré comme créateur du situationnisme, ce qui était faux, il s’est précipité pour leur écrire : « Je vous interdit formellement, à vous et à votre Chollet, d’utiliser mon nom comme argument de vente ou pour toute autre raison inepte. »
Ses lettres sont complémentaires de son journal et permettent de découvrir l’intimité de cet écrivain, ses amitiés, ses détestations, ses interrogations sur les limites de la littérature. On ne peut que regretter qu’avec l’avènement de l’internet et donc de la prolifération du courrier électronique, ces échanges épistolaires tendent à disparaître.
Manchette, Lettres du mauvais temps. Correspondance 1977-1995 , Editions La table Ronde.