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Natacha Polony à la reconquête de l’âme française

Natacha Polony à la reconquête de l’âme française

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Natacha Polony dont nous avions lu et commenté l’intéressant Bienvenue dans le pire des mondes écrit en collaboration avec le Comité Orwell, récidive avec Changer la vie, sous-titré Pour une reconquête démocratique. Notre journaliste essayiste n’a pas renoncé à une vie que l’on rendrait un peu moins éprouvante aux générations actuelles et futures, un peu plus juste, où l’on rejetterait enfin le paradigme néolibéral et son marché tout-puissant qui font méthodiquement disparaître le bien commun, la solidarité, la fraternité, les nations, les frontières, le bon sens, les cultures, l’école, la transmission des savoirs… Elle veut reconquérir l’âme française, un peu à la manière de Denis Tillinac pour qui l’hypothèse crédible de la disparition pure et simple de la France commande un sursaut urgent. Elle ne veut pas des pilules du bonheur absorbées par les personnages du roman d’Aldous Huxley, le Meilleur des mondes, elle réfute un bonheur feint, un optimisme décrété, une positivité artificielle, et préfèrerait presque les déclinistes et autres populistes bien ancrés dans le réel. Heureuse inclination de sa part qui la conduit dans le camp des « réactionnaires » venus de la gauche qui se reconnaissent dorénavant dans le conservatisme des valeurs plutôt que dans le progressisme des utopies.

Là où nous apprécions particulièrement Natacha Polony c’est lorsqu’elle dénonce la manipulation orwellienne des masses par les oligarchies mondialisées et affirme, plus combative que jamais, que « La volonté de réduire l’existence humaine à sa dimension la plus pauvre, celle d’agent économique, en dehors de toute inscription dans une histoire, une généalogie et une société, c’est-à-dire des réseaux et des appartenances, nous conduit au désastre. » ; et encore : « Les élites de chaque nation s’enferment dans une endogamie et une ségrégation territoriale qui les coupent radicalement du reste de la population. D’où la valorisation idéologique de la mobilité, de l’ouverture au monde, de la levée des frontières, de tout ce qui contribue à rompre les solidarités nationales au profit d’une accélération de la circulation de cette hyperclasse nomade et de ses capitaux. » C’est sûr, Muray, Guilluy ou Debray figurent bien en référence dans sa bibliothèque d’intellectuelle. Il faut constater encore que pour la « révolution conservatrice » nécessaire à la sauvegarde de notre identité, le point de vue de gauche, républicain, anti-libéral, social et féministe peut parfois s’accorder avec la vision catholique, traditionnelle, ordonnée des choses, sur des thèmes d’habitude clivants entre ces deux familles de pensée. Il s’agit de la reconnaissance de l’héritage grec et latin comme fondement de notre société, de la nécessité de réguler les flux migratoires pour éviter le remplacement des peuples européens et leur culture, de la prééminence de l’homme sur le marché et tous les mécanismes du consumérisme, du respect de la vie humaine, de la préservation de la liberté individuelle. Polony veut rendre au peuple sa souveraineté. Elle croit à une démocratie authentique, comme au temps de Périclès où les citoyens grecs participaient à l’élaboration des règles et au fonctionnement de la cité. Elle croit bien sûr aussi à la Révolution, mais seule une révolution pacifique trouve grâce à ses yeux : « Il faut accomplir un travail de redéfinition de l’homme et de ses conditions d’existence, qui jettera les bases d’un mouvement politique forcément révolutionnaire, en ce qu’il aspirera effectivement à changer la vie et à abolir les privilèges toujours renaissants, mais profondément raisonnable, en ce qu’il s’appuiera sur cette vertu grecque, la juste mesure, qui écarte toute violence et tout excès. » Ses périodes de référence dans l’histoire sont naturellement la Renaissance et les Lumières appréhendées comme des ruptures non violentes, ce qui ne surprend pas car son point de vue est celui d’une personne athée qui élude la dimension spirituelle et religieuse de l’homme, et d’une personne de gauche qui pense qu’il faut imposer la justice et l’égalité. Elle veut une société vivable, n’aime pas les multinationales qui dictent leurs règles aux Etats, aspire à redonner la priorité à la politique sur l’économie, abhorre les Gafam (Google Amazon Facebook Apple Microsoft) qui ont fait main basse sur nos vies grâce à leurs algorithmes, aime l’homme politique d’Aristote plutôt que l’homo-œconomicus contemporain, croit à l’histoire, à la mémoire et au passé qui unissent les pays et les citoyens, affectionne l’économie circulaire au détriment de l’économie basée sur le principe omnipotent de « destruction créatrice » cher à Schumpeter et à tous les tenants de mécanismes disruptifs, préfère le réel au « fauxel » ce concept du faux (ou du mensonge) forgé par Renaud Camus pour caractériser ce qui d’après lui régit nos sociétés, veut renouer un dialogue avec la Russie « pays européen indispensable pour l’établissement d’une sécurité dont toutes nos nations ont besoin ».

Polony a du bon sens et une ouverture d’esprit méritant d’être salués tant ils sont désormais rares dans le paysage intellectuel français. Son livre est à cet égard riche et instructif. Quasi religieuse à la fin de son ouvrage, elle nous exhorte à aimer, croire, nommer, connaître, habiter, œuvrer, éduquer, penser, rire, s’enraciner, tisser des liens, transmettre, rechercher la mesure, mais aussi combattre et résister, acceptant implicitement que la vie est tout à la fois grâce et combat. En fille d’Orwell, elle reprend les mots de l’auteur de 1984 qui ancrent la valeur cardinale de la liberté dans ce réel qui lui est cher : « Le désir d’être libre ne procède pas de l’insatisfaction ou du ressentiment, mais d’abord de la capacité d’affirmer et d’aimer, c’est-à-dire de s’attacher à des êtres, à des lieux, à des objets, à des manières de vivre. » Sur le sens de la filiation mémorielle des hommes, sa vision est juste quant aux cultures dont les richesses peuvent être mutuellement partagées, si ces cultures dans leur distinction propre acceptent de s’intégrer respectueusement au sein de la culture historique principale. Ceci révèle en creux un refus du multiculturalisme dans sa logique inclusive d’aujourd’hui : « La connaissance est avant tout une leçon d’humilité. C’est aussi une leçon d’humanité. La plongée dans des mondes qui ne furent pas les nôtres nous apprend les invariants humains, tout ce que nous avons en partage avec des hommes vivant dans d’autres sociétés, selon d’autres mœurs et d’autres croyances. L’indispensable articulation entre l’universel et le divers nous est offerte dans l’histoire et la littérature, comme une plongée dans des mondes qui sont à la fois les nôtres, à la fois différents. »

En guise d’épilogue, notre auteur confesse le cœur de son credo qui est incarnation et enracinement de tout l’être : « Prendre peu à peu conscience de notre finitude est la première condition de la véritable liberté. Ceux que ne vient pas rassurer la foi n’auront jamais de certitude sur le sens de notre présence sur cette terre. Mais de regarder le ciel et d’assumer qu’il ne restera rien d’autre que le souvenir que nous aurons laissé, et la trace de nos actes, nous pouvons peu à peu choisir. Regarder le ciel étoilé, se répéter les mots de Pascal, " Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. " Assumer cette peur. Y puiser la force de se tourner vers ce qui est, ici et maintenant, parce qu’il n’est aucune autre certitude, voilà sans doute ce que c’est que vivre. »


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