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Radiguet : plaire sans tricher

Radiguet : plaire sans tricher

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« Dans trois jours je vais être fusillé par les soldats de Dieu (…) L’ordre est donné, j’ai entendu l’ordre. » Il faudrait composer une pièce lyrique sur les dernières paroles de Raymond Radiguet, une plainte mystique par un contre-ténor qui aimerait les notes graves. Lui, qui se qualifiait de maniaque des mots, sut prononcer les paroles définitives pour que la tragédie soit parfaite. Pas pour un public, non. Pour Radiguet, il ne fallait jamais penser au public, il fallait juste écrire par nécessité. « On a raison que pour soi et relativement. »(3) C’est ainsi quand on est un écrivain absolu.

Vingt ans de vie, cinq ans de production littéraire. L’image conservée est celle de l’écrivain prodige qui tourne la tête au tout Paris des arts et des lettres, celle du jeune homme qui a livré tout son génie dans l’urgence. Et pourtant quelle ironie pour lui qui considérait la jeunesse comme un âge ingrat, d’incarner pour l’éternité ce jeune poète fauché par la fièvre typhoïde. Il aurait de quoi rire. « Mourir jeune est un grand avantage car on ne quitte plus son âge. »(1) Quelle idée de se baigner dans la Seine aussi ! « Quand il mourut, Narcisse avait mon âge. Lac, miroir concave ; pour mon anniversaire le lac m’a fait cadeau d’une image qui m’épouvante. »(1) Lui qui fut obsédé par la figure de Narcisse, peut-être a-t-il voulu nager avec son reflet… C’est parce qu’il se reconnaît devant un paysage, une femme, un poème, qu’il crie « halte ! », qu’il écrit. Radiguet a construit son reflet, à mesure qu’il écrivait et, non dupe, il en profitait de temps en temps pour se faire des grimaces.

Il est mort trop jeune, bien sûr, ce n’est pas lui qui dirait le contraire. Radiguet ne croyait pas au chant du cygne. Il pensait, au contraire, que si bien des choses ont été dites, il en reste encore plus à dire.(3) Pour lui, il y avait toujours un pas de côté à faire. Le poète a quelque chose à ajouter ici et maintenant. Ne serait-ce que pour ne pas se donner le dernier mot. « On ne continue à écrire que pour oublier soi-même et faire oublier aux autres ce que l’on vient d’écrire. »(3) C’est dans un essai posthume, Règle du jeu, que Radiguet expose sa vision de l’écriture. Dans ses feuillets annotés, exhumés par Cocteau, il ne cherche d’ailleurs pas à démontrer ce qu’il dit, il parle avec autorité. Lui qui a fréquenté les Dada, il va percer leur jeu pour mieux porter son regard sur les classiques, Ronsard, Chénier… « Le classique ne cherche ni à être applaudi, ni à être sifflé. Le romantique est avide de l’un et de l’autre. »(3) Pour lui, le Dada est romantique, leur jeu n’est que déplaire. Le sien est de plaire sans tricher.(3)

« Il ne faut jamais penser au public »

Dans ses deux romans, Le diable au corps et Le bal du comte d’Orgel, Radiguet est un conteur. Il raconte une histoire dont il connaît la fin et pour laquelle, il parvient à nous passionner en sondant l’âme humaine. Les êtres qu’il nous présente sont dans les mailles d’un jeu social qui les contraint au silence voire à l’autocensure. D’où fausses interprétations, erreurs d’aiguillage, non-dits, sous-entendus. Ainsi Mahaut d’Orgel eut besoin de beaucoup de temps avant de s’avouer aimer François. Ainsi Marthe et le narrateur jouent-ils en amour comme à cache-cache dans Le diable au corps. Radiguet reste le grand témoin et parvient par son ton et son style à nous rendre dupes. Comme des Narcisse, nous nous identifions. Nous nous attachons à ses personnages englués dans l’être social, comme nous, en dilemme intérieur vis à vis à de leurs intentions, comme nous. Et cet art narratif par lequel nous plongeons dans les personnages est orienté par le désir de grandeur et de beauté de Radiguet. Voilà sans doute le grand point commun entre Cocteau et Radiguet, l’amour de la tragédie et de la poésie. Il faut qu’il y ait malédiction parce que c’est beau. « Maintenant, nous pleurons ensemble ; c’est la faute du bonheur. »(2) Et si les bizarreries du cœur s’obstinent à obséder les personnage, l’auteur a la solution : « On n’a encore trouvé qu’un seul moyen d’empêcher son cœur de battre, c’est la mort. »(2) La vocation au tragique relève du devoir pour Radiguet, et cela dépasse largement les accusations de ceux qui hurlent avec les loups pour manque de patriotisme et promotion de l’adultère. De toutes façons, il le déclare, en littérature, on ne peut pas être fier de son influence, forcément néfaste.(3)

Radiguet ne s’est pas contenté d’écrire deux romans. Pendant cinq ans, il livra son travail au public. Après avoir pris des cours de dessin, et au-delà des dessins de presse qu’il livre 1917 et 1918, il a illustré lui-même ses premiers recueils de poèmes avec des aquarelles. La poésie est véritablement son enfance de l’art. Aucun poème ne fut écrit après Le diable au corps. « Tous les grands poètes ont écrit à dix-sept ans. Mais les plus grands sont ceux qui parvinrent à le faire oublier. »(3) Il faut aussi noter un goût pour le théâtre, deux pièces et une tragi-comédie musicale. Celui qui aimait autant Labiche que Molière aurait sans doute su camper cet esprit français qui est de rire des hommes qui vivent avec trop de sérieux la tragédie.

Retenons avec Cocteau un auteur doué pour l’exercice de la légèreté comme pour celui de la profondeur. Radiguet était réputé peu bavard, c’est qu’il observait. En mourant, il décrivit ce qu’il voyait : « Il y a une couleur qui se promène et des gens cachés dans cette couleur. » A Cocteau qui se proposait pour chasser ces gens, il répond : « Vous ne pouvez pas les chasser, puisque vous ne voyez pas la couleur. » Maintenant que nous avons toutes ses dernières paroles, il nous faut la musique.


(1) Œuvre poétique
(2) Le diable au corps
(3) Règle du jeu


Radiguet : sur une poétique de la pudeur
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La poésie dans les romans de Radiguet
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Imprécations nocturnes, Grégory Rateau
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