Rimbaud et la Mer Rouge

On connaît la poésie de Rimbaud, la vie de bohème du jeune homme avec Verlaine et on fantasme beaucoup sur sa vie cachée venue après sa vie publique. On parle de trafic d’armes, d’esclaves et on imagine un jeune homme sombrer dans l’âge adulte comme on se suicide. Le petit livre de Gilles Ragache permet de rétablir une vérité historique et nous montrer un étonnant Rimbaud ayant mené et réussi une vie de négociant dans un territoire à défricher autour de la Mer Rouge pendant plus de 10 ans.

Gilles Ragache nous montre d’abord un jeune homme qui cherche à apprendre et à bien faire. Il commence par superviser un atelier de tri de café. Il s’astreint donc d’abord à un travail sain et relativement simple. Puis, ce qui est commun à tout travailleur, une envie d’autonomie le prend : « Ce que je veux c’est travailler libre. » Il travaille avec sérieux, étudie topographie, minéralogie, … et se fait livrer des instruments scientifiques depuis la France. L’auteur évoque même une certaine fascination pour la modernité.

Les compatriotes qui ont accueilli Rimbaud dans ce territoire d’étuve fait de sable et de sel sont de jeunes hommes à l’esprit d’aventure et d’entrepreneuriat. Ils cumulent les rôles de négociants, explorateurs, militaires, pionniers d’une région. Pas d’alcool ni de paradis artificiel, Rimbaud carburait au café turc toute la journée, infatigable, il conduisait des caravanes en plein désert. Il réussit à grimper les échelons, à se mettre à son compte, à devenir un vrai professionnel.

Rimbaud écrit dans ce temps de l’après poésie et il écrit bien, il écrit des traités commerciaux et même des analyses de la géographie locale, analyses qui vont contribuer notamment à la création de Djibouti sur une presqu’île encore désertique. Ragache précise : « Il s’exprime dans un langage clair et précis, celui d’un géographe et d’un négociant. » Il n’a jamais parlé à ses compagnons de son passé poète. Ces derniers se réjouissaient simplement de la qualité de son écriture dans le moindre traité commercial et s’amusaient de sa dégaine étrange, toujours l’épaule gauche loin en avant de la droite. On a du mal à relier ce deuxième Rimbaud pleinement incarné, les deux pieds dans le désert, ayant réussi à devenir comme ses amis négociant, explorateur et même géographe, avec le jeune poète. Et cette vérité historique livrée par Gilles Ragache, si elle tue un mythe autour d’une vie de fuite de Rimbaud, ne fait que renforcer le mystère autour du poète-négociant.

Rimbaud et la Mer Rouge, Gilles Ragache, CPHF Editions, 2021, 62 pages, 8€