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Rencontre avec Igor Bitman (2)

Rencontre avec Igor Bitman (2)

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Igor Bitman dans son atelier

Cela fait presque une heure que nous discutons avec Igor Bitman. La lumière baisse encore lentement à cette période de l’année. Nous rentrons petit à petit dans la peinture, dans les tableaux.

Ces visages deviennent par le biais de la peinture des icônes en quelque sorte.

Les paysages urbains architecturés à l’extrême avec les lignes de fuite et les arêtes multiples nous rappellent que nos yeux sont faits pour la perte de vue. Mais voilà que je reste figé devant ces visages de femmes, des grands tableaux posés devant moi à même le sol. Il y a une mélancolie omni présente perceptible dans ces faces. Le regard est une énigme jamais sondée. Celui des visages d’Igor Bitman dicte une posture au corps. Les traits sont relâchés, Il y a quelque chose de l’abandon, voire du renoncement. Les paupières sont toujours lourdes, toujours prêtes à se fermer. Est-ce pour orienter notre regard vers l’intérieur ? Je cite Michael Ange : « La puissance d'un beau visage me transporte vers le ciel, car il n'est rien, sur la terre, qui pour moi ait autant de charme, et je m'élève, vivant, parmi les élus, faveur rarement accordée à un mortel. » Igor me dit qu’il a toujours aimé les paupières lourdes, cela fait partie de la sensualité féminine qui l’aimante. « Mes visages ne sont pas des portraits, même si ils sont inspirés de réelles personnes. Ces visages deviennent par le biais de la peinture des icônes en quelque sorte. C’est amusant d’ailleurs de penser que la peinture russe est passée des icônes à la peinture moderne sans passer par la case Renaissance. » Des icônes, bien sûr ! C’est pour ça qu’elle s’impriment et s’encrent en nous. C’est pour ça qu’elles s’écrivent en nous. De la contemplation à l’adoration, il n’y a qu’un pas. La vocation de l’art est toujours de flirter avec le sacrilège.

Belle à la coiffure japonaise

Poésie ou narration ?

Je me pose toujours une question récurrente vis-à-vis de l’art et particulièrement de la peinture. C’est le rapport de l’œuvre avec la narration ou la poésie. Ecrire c’est toujours s’inscrire entre ces deux pôles. Est-ce que créer aussi ? Est-ce valable pour tout l’art ? Où se situe la peinture d’Igor Bitman. Elle me raconte une histoire ou s’impose en énigme poétique. On imagine des choses bien sûr en regardant les tableaux, une trame. C’est parfois comme le décor qui attend l’action, la tragédie. C’est à ce moment que le tableau échappe à son auteur. Igor ne sait pas vraiment choisir entre poésie et narration. « Ces tableaux racontent des histoires si on veut se raconter des histoires. L’essentiel est que celui qui regarde en fasse ce qu’il veut. Il y a longtemps, une première exposition que j’avais faite au Canada, j’avais bourré mes tableaux de références littéraires et historiques. J’ai eu la visite d’un client érudit qui s’était extasié et avait jubilé devant tant de références qu’il partageait, qu’il comprenait, son exaltation était palpable. Il lisait dans mes tableaux comme à livre ouvert. Cette exaltation m’a gênée. Je n’ai pas tout de suite compris. J’ai eu une crise et j’ai totalement arrêté de peindre pendant un an. Je me suis rendu compte d’une fausse route. Ce n’est pas ça que je voulais. Je ne voulais pas peindre un rébus. Avec ces toiles remplies de références, le spectateur avait la jouissance intellectuelle de l’érudit, mais la peinture n’était pas première, il y avait un problème. J’ai repris la peinture une année après avec des choses simples, très simples, des natures mortes avec seulement deux trois objets. Il fallait que la peinture, son geste, reprenne la première place. »

Bourgogne sous la neige

C’est le temps qui révèle les œuvres

Certaines de ses toiles évoquent les fresques de la Renaissance telle qu’elles nous sont parvenues à travers le temps, non restaurées, un peu salies et partiellement effacées. Le peintre aurait-il anticipé l’œuvre du temps ? Est-ce une quête de l’essentiel, de ce qu’il restera après ? La quête de la part d’immuable dans la création ? J’ai besoin de savoir. Il y a bien plus de grâce dans une fresque usée, partiellement effacée, aux couleurs ternies et encrassées que dans le tableau restauré, brillant sous le verni fraichement étalé. Il me semble que les passages multiples d’Igor Bitman ôtent quelque chose à chaque fois. Plus on ajoute plus on ôte ? Est-ce pour fuir une forme de caricature, une forme de simplification ? « En revenant avec une couche supplémentaire, j’enlève effectivement, j’amoindris l’impact, la présence de la couche précédente, je nuance. Au début des années 2000, j’étais en recherche de nouveautés et j’ai découvert les pastels gras et l’encaustique. Ce fut au hasard providentiel d’une toile que j’ai malmené suite à une contrariété, comme d’autres les brûles, les casse, etc., que j’ai découvert la matière qui allait m’accompagner les années suivantes. Et j’ai ainsi découvert que l’on pouvait jouer avec la matière. En grattant, on découvre tout ce qu’il y a en dessous, et c’est comme si j’étais un archéologue découvrant le souvenir de ma propre peinture en dessous. Une peinture que j’aurais faite il y a très longtemps et qui se trouve ravivée. L’encaustique est la technique des peintres la plus ancienne qui soit. Elle est aussi extrêmement contraignante. Il s’agit de mêler des pigments à la cire d’abeille. C’est ce qui donne une impression de fresque en grattant. » Et c’est donc ainsi qu’il convoque, anticipe et cristallise l’œuvre du temps sur une toile. Igor confirme : « C’est le temps qui révèle les œuvres, leur résistance tout autant que leur pâtine. » Igor Bitman fait de la photo aussi. Ce qui est étrange c’est que cette quête du grain, de la matière est présente aussi dans les photos. Il n’y a pas pire compliment à faire à un peintre que de lui dire que ses toiles ressemblent à une photo, mais si on dit qu’une photo ressemble à un tableau ? « Dans la photo, je cherche un grain, à traduire la matière qui par définition n’y est pas, je cherche une épaisseur dans les deux dimensions. »

Igor BITMAN, Excursion (Conversation avec:Domenico Ghirlandaio (1449-1494) Visitation fresque), 92 x 60 cm encaustique et huile sur toile Photo portrait femme

Rencontre avec Igor Bitman (1)
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Entretien avec Igor Kubalek
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