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La tragédie et la farce pour le salut du monde

La tragédie et la farce pour le salut du monde

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Où est-il l’homme vertical, qui est-il ? La mièvrerie de la modernité perpétuelle, de laquelle nous peinons à sortir, peut parfois provoquer des réactions étonnantes, des envies de meurtre, des fous rires, de doux désirs d’apocalypse… Qui n’a jamais ressenti cela a déjà perdu son temps. Est-ce utile de rappeler à tous la mauvaise nouvelle ? Le divertissement n’est pas la finalité de la vie puisque la vie a une fin. Notre prédestination à la mort devrait nous orienter. Mais c’était sans compter l’efficacité du capitalisme à nous maintenir en jouissance permanente, à faire dépendre notre existence de notre capacité à jouir, à roter tout seul dans notre mangeoire (Léo Ferré). En capitalisme, là, tout n’est que confort, consommation, consolation. Entre TNT, RTT, terrain piscinable, bien-être et hygiénisme, tout n’est que confort. Entre les fringues, les voyages, la culture pour tous et la bonne conscience durable, tout n’est que consommation. Entre l’inventaire des déterminismes psychologiques, le fameux travail de deuil et le droit à mourir dans la dignité, tout n’est que consolation.

Et personne ne parvient à faire sortir l’homme occidental de sa torpeur. C’est sidérant. Même les adorateurs de la mort que sont les musulmans radicalisés ne parviennent pas à nous faire revenir dans le match. Pire, il semble même que les attentats, plutôt qu’un prétexte à revenir dans l’histoire par la guerre, ne font que renforcer le virus de la modernité. Plus on nous attaque, plus notre niaiserie s’accentue, à coup de bougies, de slogans, de spectacles commémoratifs. On court entre les tombes, on applaudit Sting dans le lieu du massacre, le spectacle nous permet de ne pas céder à la peur, puisque qu’il parait que c’est la peur qui tue. Les djihadistes doivent sentir que nous avons peur, c’est pour ça qu’ils nous tuent.

C’est en regardant l’Incorrigible de Philippe de Broca que me vint la possibilité de sortir de l’impasse moderne via deux figures archétypales de dandy, seules capables d’échapper au mélodrame de ce monde. Deux acteurs, deux réactions proposées face à cette « vaste conspiration contre toute forme de vie intérieure qu’est le monde moderne. » (Bernanos). Jean-Paul Belmondo joue Victor Vauthier un voyou sympathique, mythomane, qui prend la vie pour une scène de théâtre où il joue sa farce renvoyant le réel dans le décor, les autres en intermittents de son propre spectacle. Seul, son oncle, Camille, à la fois père spirituel, mentor et complice, conserve le rôle du clown blanc capable de sanctuariser l’esprit de la tragédie. Le rôle est joué par l’excellent Julien Guiomar, la face en déconfiture et le corps enveloppé dans une vieille robe de chambre. Les dialogues sont d’Audiard bien évidemment. Et c’est dans l’opposition des deux que le contour du personnage de chacun nous est donné. Nous ne pouvons échapper au monde que par le rire et la tragédie. (Cela ressemble au manifeste de Mauvaise Nouvelle ce papier.) Etre soi-même une farce, être soi-même sinistre. De façon caricaturale. Pour être hors d’atteinte du monde et de ses tentatives de nous donner confort, consommation et consolation. Nous saurons cultiver notre ridicule et notre nature suicidaire. Tout assumer avec pour seul objectif d’être méprisable, d’en être réduit à s’inventer une marge pour exister.

Face aux mines de circonstances, au sérieux des professionnels en tout, au cœur de vos minutes de silence, laissez-moi rire ! En face de vos divertissements, de vos festivals d’autocélébration, en plein soldes d’été, laissez-moi gâcher la fête ! Du rire aux larmes pour éviter les simagrées de mauvais films TV que nous impose la réalité moderniste. Et pour goûter à la farce et à la tragédie, pour permettre de reparler de la gloire de Dieu et du salut du monde, il convient d’écouter Guiomar causer à Belmondo. Se dire que l’enfant que nous étions et que nous devrions encore être ne rêvait pas « d’attaché-case quand il était petit » (Alain Souchon), que nous ne sommes pas obligés de marcher à cette vaste blague d’adulte et sortir de l’hypnose capitaliste pour « risquer notre oui aux imprévus de Dieu ! » L’homme vertical est un clown, farceur ou triste, il est l’être intérieur.

« Il faut s'emmerder, Victor, si on veut faire durer le temps. Moi, je peux me regarder des heures dans la glace : je dégage un ennui épouvantable. Le teint cireux. Les dents jaunes. L'œil glauque. Ajoute à ça des bourdonnements d'oreilles et un grand chagrin d'amour, crois moi : ça fait des heures longues. Toi, tu n'oses même pas te regarder puisque tu es gai donc frivole donc inconséquent. Victor, tu es une bulle. Ta vie coule comme une eau vive… Faut dire que la mienne fuit comme un vieux robinet. La semaine prochaine, j’avancerais mes barrières. Peut-être bientôt, n’en aurais-je plus besoin, ayant rejoint la sagesse absolue, l’immobilité totale, là, dans ce fauteuil, ramassé sur moi-même, dense comme un œuf.
- C'est pas un fauteuil que j'aurai dû t'offrir, c'est un coquetier. »

 

« Tu parles comme un enfant Victor. Tu vois l'amour à travers les mandolines et les verres de mirliton. L'amour, le vrai, le shakespearien, l'amour ne se susurre pas, il se hurle. J'ai hurlé comme personne, ça m'arrive encore. Antinéa. Ah la garce ! Tu te souviens quand elle courait toute nue dans la baie du Mont Saint Michel ? Et que je hurlais son nom du haut des remparts de l'abbaye : Antinea, Antinea !! A propos, tu sais la dernière nouvelle ? Le sable a encore gagné sur la mer. Dans 50 ans, le Mont Saint Michel sera au milieu des terres.
- Le décor de tes amours au milieu des betteraves…
- Oh ça, c'est d'un goût ! Ne serait-ce qu'à cause de ton vocabulaire, tu ne connaîtras jamais l'atroce volupté des grands chagrins d'amour. Mais tout le monde n'a pas la stature d'un tragédien… Contente-toi du bonheur, la consolation des médiocres.
- Tu as raison de me remettre à ma place Camile. Tu es fait pour les alexandrins et la pourpre et moi pour les shampouineuses et les pinces à vélo. Bas les masques ! »

Imaginons-nous en apôtres de la mauvaise nouvelle disant aux citoyens de panurge : contentez-vous du bonheur, contentez-vous du bien-être, contentez vous de roter dans vos mangeoires ! La consolation des médiocres. Malheureusement, il y a peu de chances pour que l’on tombe sur un fou dingue amoureux du burlesque, des shampouineuses et des pinces à vélo… Peu de chance pour que ce fou détourne l’argent du monde pour ériger une digue au Mont Saint Michel et permettre au tragédien de prolonger sa plainte ailleurs qu’au milieu des betteraves. Le monde se contentera d’afficher son sérieux pour nous faire la morale et nous inviter à la thérapie.


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