La vie d’après de François Friant
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Comment faire une recension sur un recueil de poèmes ? C’est impossible. Avec un essai, notre glose nous pousse à faire de l’essai sur l’essai. Avec un roman, on se met à raconter et on fait de la narration sur la narration. Mais avec un recueil de poèmes, on ne peut tout de même pas faire du poème sur du poème. Il devrait suffire de se taire. Tout commentaire, toute critique se fourvoie dans l’erreur. Mais puisque nous nous sommes fixés la charge de conférer un lieu à l’écrit, j’accepte, non pas le défi, mais le sacrifice de me tromper en vous parlant mal de ce que j’ai aimé pour vous le faire aimer.
La vie d’après est le recueil de poèmes d’un homme qui se sait mortel, qui se sait déjà mort, fatigué par ceux qui se croient encore vivants. Le poète s’appelle François Friant et il s’agit d’un homme qui veut célébrer le poème sur les cendres d’une littérature qui n’a su être qu’horizontale. L’enjeu du poète est bien de se tenir debout, vertical, d’être capable de se relier.
« Volutes,
Volutes sculpturales,
Inachevées mais pures
De celles qui condamnent la littérature »
Et voici l’avertissement du poète au gloseur, à l’essayiste, au journaliste, au romancier : « Mais je vous préviens, cette discussion partira en fumée, je ne renoncerai pas à ma solitude ». Il ne renonce pas à son puits, à sa source, nous sommes extérieurs, nous sommes l’extérieur. Le poète a besoin de pèlerinage. La vie intérieure lui permet de disposer de ce lieu de pèlerinage en lui. Ecrire, lire, prier, chanter, en se faisant poème. L’homme dit qu’il vient de l’intérieur, qu’il y retourne chaque fois que nécessaire. Si le poème est la célébration de la vie intérieure, alors le poète nous rappelle l’importance de la solitude, du silence et de savoir contempler. Ces réflexions me rappellent étrangement ce papier que j’avais confié à Alain Santacreu pour l’ouvrage collectif Du religieux dans l’art, il s’appelait : De l’art de dissimuler une prière ? Laisse-moi demeurer chez moi cette nuit dit le poète, laisse-moi y planter ma tente.
Dans un dialogue imaginaire, le poète lance : « Je suis un fanatique, une bête céleste et prosaïque, pareille à un saule pleureur » (…) « je suis celui du désert, vide comme le sublime » Voilà qui fait éclater de rire l’autre. L’interlocuteur n’a jamais entendu quelque chose d’aussi idiot. Il faut dire que le plein rend suffisant. Et personne ne peut prétendre être un poète sans oser flirter avec le ridicule. Faire de sa chair du verbe expose nécessairement au ridicule. Le seul sacrifice du poète est bien celui là, de paraître ridicule, de paraître. C’est parce que la poésie n’est pas chose intellectuelle, elle a à voir avec l’incarnation. « Fuyez ! Fuyez ! Liez vos membres à la rime ! » Car l’âme où puise le poète connait le corps. L’un ne va pas sans l’autre puisqu’il s’agit de faire de sa chair du verbe.
« La douleur se fait frontière entre l’espoir et le désespoir, où l’homme se fait vivant parmi les morts. »
Etre incarné, en avoir conscience, c’est également habiter sa future mort. « Je ne suis au grand jour qu’une mort incarnée » Comme il est important de se savoir déjà mort, cela permet d’en revenir, de transformer en un regard toutes les habitudes des hommes en vanité, en temps perdu. François Friand parle de la vie d’après la conscience de la mort, la vie d’après l’annonce de la mauvaise nouvelle en quelque sorte, et cela m’arrange aussi.
Une fois tout dit, tout écrit, une fois sa chair faite Verbe, une fois déjà mort, une fois être revenu de la mort, le poète se lance et se dit que l’important serait d’appartenir
« L’important, en tout temps, est bien d’appartenir
Appartenir à quoi ? – Appartenir au jour
(…) je n’appartiens à rien, ou peut-être à l’ennui »
François Friant appartient à son poème, il fait corps avec son poème. C’est en écrivant que l’on peut se voir incorporé au Verbe. Vertical, le poète s’étire comme si chaque vers était un réveil.
« L’être que personne ne connaît,
Et qui tend vers le ciel »
Achever ce papier « impressionniste » sur la poésie de François Friant par le silence, le silence qui suit le cri d’Artaud sur l’être, le silence qui précède toujours Schubert. Se l’imposer. Comment reprendre ma vie après la lecture de la vie d’après ? Comment renouer avec la parole qui dit toute chose fausse ? Comment continuer sans retomber en littérature ?