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Marin de Viry : vivre un salut particulier dans une perte générale

Marin de Viry : vivre un salut particulier dans une perte générale

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Avec La montée des périls, Marin de Viry nous conte une histoire d’amour sur fond de vanités modernes. L’histoire d’amour concerne Paul et Erika. Paul de Salles est journaliste et romancier ne trouvant plus aucune saveur dans une époque le privant de possibles, d’aventures, de danger. Erika est une belle femme spirituelle, non dupe du monde et de ses absurdités, toujours curieuse des périls à venir. La rencontre se fait dans un temple de gloires culturelles pour initiés, le coup de foudre a lieu au palais de Tokyo.

Le décor dans lequel leur amour va se déployer est le microcosme parisien intellectuel et culturel flirtant sans cesse avec le pouvoir politique et financier. Dans cette société superficielle, toute intelligence ne sait s’exprimer que dans le sarcasme, dans l’imitation lointaine de Versailles et nous goûtons la description des « névroses du milieu intellectuel parisien au XXIème siècle, cette bande d’irresponsables… » Il s’agit d’un microcosme comme un autre néanmoins, ni plus ni moins méprisable. Un simple lieu où l’on oscille entre négocier et mendier sa petite place sociale, et, peu importe d’ailleurs puisque « La vraie vocation d’un milieu est de fabriquer des occasions d’aimer. » Paul et Erika peuvent s’en réjouir, eux que l’élection mutuelle permet d’élever au-dessus de cette engeance. Les voir ensemble relève de l’évidence pour ceux qui les connaissent. « Perchés, fondus, tordus, compliqués, esthétisants, privilégiés faussement innocents (…) Bref vous êtes faits l’un pour l’autre. »

Le couple élu va donc imposer son amour à tous avec l’insolence d’adolescents dans un échiquier qui avait prévu d’autres rôles pour eux. Erika a été choisie pour écrire les discours d’une femme politique sans consistance, pleine de promesses et encouragée par l’Elysée. Paul devait aider son ami Frédéric à saboter l’ascension illégitime de cette femme creuse et infatuée. Cette affaire politique, qui mobilise à sa marge le milieu culturel, va devoir se contenter de défiler comme un feuilleton en arrière-plan. Un feuilleton qui captive, qui agace, qui hameçonne, qui fait rire, et qui finalement se fait oublier.

Ce qui aimante notre imaginaire n’est rien d’autre que la possibilité d’un amour comme d’un îlot dans un microcosme. Ilot bien nécessaire compte tenu de la montée des périls dont sont conscients nos deux intellectuels au cœur tendre : « Nous vivons un salut particulier dans une perte générale. » Parce qu’ils savent que l’être humain n’est viable qu’à travers la narration qu’il engendre, Paul et Erika manifestent leur capacité à reconnaître l’amour absolu, à donner corps à la séquence aussi bien ancestrale qu’ordinaire : amour-sexualité-mariage-enfants. L’amour est encore le seul véritable chaos qui puisse bouleverser l’équilibre social de l’adulte sorti de son histoire, l’amour peut faire renouer l’être avec sa vocation d’aventurier, il offre un champ du possible, du dangereux, de l’aventure dans le concert de vanités du microcosme. Pourquoi dangereux ? « Les écrivains ont une complexion amoureuse particulière, et il n’y a qu’entre eux qu’ils peuvent se comprendre. » Ils savent qu’une telle élection met la personne en situation de souffrir d’aimer et d’aimer souffrir. Le monde entier vient s’abîmer dans le sentiment tout neuf. Simplement parce que Paul croisera une femme, il pensera à Erika. Le bonheur est terrifiant, tellement terrifiant qu’il donne la conscience que l’on est prêt à mourir puisque l’on a vécu sa grande aventure. Paul avoue : « Ça va même tellement bien que j’en souffre. »

La montée des périls est un livre bavard, comme un Rohmer ou un Woody Allen. On comprend que l’amour est une conversation qu’il faut sans cesse prolonger pour prouver à tous qu’elle est sans fin. Il n’y a aucune différence entre la conversation et l’étreinte, tout est fait pour se relier. « Leurs phrases étaient courtes et leurs baisers longs. » La conversation permet d’intellectualiser à outrance des trucs simples, de jouir de la parole, et d’entrer en narration permanente. Et vivent les volutes compliquées !

Marin de Viry incarne l’élégance, la pudeur, l’intelligence, le tout sans jamais être dupe de lui-même, bref, il est l’archétype de l’esprit français. Dans son roman, on s’y retrouve bien et qu’il est doux de s’y retrouver… « Être bien élevé consiste à souffrir volontairement pour la noble pudeur d’autrui, voire pour l’hypocrisie générale qui consiste à reculer l’inéluctable. » Ce n’est rien moins qu’un petit bain de civilisation que nous prenons en lisant La montée des périls. Marin de Viry sait doucement dépouiller l’homme moderne de ses oripeaux pour lui offrir l’aventure amoureuse pour laquelle il est fait.

La montée des périls, roman de Marin de Viry, éditions du Rocher, 220 pages, 19€,


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