Molet au pays des Soviets
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Molet au pays des Soviets
À l'aube d'un paradis occasionnel est le dernier roman du prolixe Valéry Molet. Nous sommes dans la Russie soviétique de Gorbatchev, donc en plein déclassement de l’État fort. Hugues, un étudiant français, quitte père et mère communistes pour aller étudier à Moscou. C’est vrai qu’on n’a pas tous la chance d’avoir des parents communistes. Molet explique : « Faute de se sentir un destin national, doué en rien, Hugues avait décidé de fuir la France, cette banane molle abandonnée sur une lunette arrière de voiture en plein soleil. » Cela commence sur les chapeaux de roues pour nous faire comprendre que nous risquons de glisser sur une bon nombre de métaphores réjouissantes comme des pieds de nez au destin.
Hugues arrive à Moscou sur la pointe des pieds, la tête remplie de représentations sur l’empire qu’il rejoint : le renseignement, l’austérité, la force, la littérature et la fameuse âme russe… Il découvre en fin de compte les soubresauts d’un monstre froid en fin de vie. « On y sentait plus qu’ailleurs la désillusion qui préside à toute assemblée d’hommes. » Moscou est déglinguée… mais la Russie est le plus beau pays du monde n’est-ce pas ? Alors suivons notre héros d’un pas léger.
À Moscou, Hugues fréquente des fous, des nationalistes, des Congolais, des hindous, de belles femmes bien sûr, et surtout des alcooliques qui lui permettent d’enchaîner les mésaventures. Tout ce petit monde s’exhibe comme sur une avant-scène de l’Apocalypse, dans l’urgence avant qu’un rideau (de fer) ne se lève. Hugues se retrouve au cœur de rumeurs et se croit investi de missions pour il ne sait plus quelle cause et qui nécessitera forcément de supprimer quelqu’un, au moins un pour l’exemple. Dans le pays du renseignement à grande échelle, on complote à la petite semaine. En soirées estudiantines, Hugues se met à faire des discours abscons et lyriques pour donner le change, prouver qu’il a sa place dans ce monde-là, et se mettre d’accord avec le plus grand nombre : « Subséquemment, je crois honnêtement que vous avez mille fois raison et que ce que vous postulez, si j’ai bien compris la leçon de ce maître à penser qu’est Auguste – à savoir, le monde n’est presque qu’une pourriture –, n’a rien d’erroné. » Les bavardages soulent autant que la vodka, il faut augmenter les doses en surenchères pour noyer les uns par les autres. « Pendant ce bla-bla, d’autres bouteilles avaient été descendues. On allait droit au génocide. » Les non-dits succèdent aux malentendus, et les gueules de bois aux célébrations alcoolisées. De quoi en perdre son latin, soupçonner tout le monde, et finir par comploter contre soi-même, en se mordant la queue, finalement. « L’impression générale d’être victime d’une organisation de course en sac prenait le pas sur la nécessité de réaffirmer sa dignité »
Molet se sert de l’émulation estudiantine dans un monde d’après le tout politique, pour mettre en lumière la vanité des raisonnements et engagements. La politique, y a-t-il une chose de plus vulgaire disait-il déjà dans son précédent livre d’injures (Injures précédent un amour légendaire, ed. Unicité), il rend grotesques tous les discours, et les abîme dans des fantasmes et délires propres à chacun.
La langue de Molet est totalement inventive et drôle, foisonnantes d’images qui excitent l’imagination, font pétiller les neurones. Elle se prêterait volontiers à la performance orale bien sûr… Cette ambiance kafkaïenne joyeuse et folle dans laquelle navigue notre Hugues révèle la vanité des petites vies et annoncent la chute du Mur. Le soviétisme avait créé un métier universel : les portefaix de l’insignifiance. Tout en était imprégné. La moquette, le linoléum, les meubles respiraient le dégoût de l’anormalité. » Faut pas s’étonner dès lors que les êtres soient en quête d’excentricité, et prêts à tout pour tuer leur ennui !
Questions : Vous n’aimez pas le froid ? Vous n’aimez pas la vodka ? Vous n’aimez pas les complots à le petite semaine ? Vous n’aimez pas ne pas tout comprendre ? Vous n’aimez pas qu’on se foute du monde et de vous-même ? Vous n’aimez pas les métaphores à plusieurs caudalies ? Mais si voyons, faites un effort et lisez À l’aube d’un paradis occasionnel de Valéry Molet.
À l’aube d’un paradis occasionnel, roman de Valéry Molet, Editions Nouvelle Marge, 284 pages, 22€