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Onfray tue le mythe Sade et en rebâtit un autre

Onfray tue le mythe Sade et en rebâtit un autre

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Dans sa série de la contre-histoire de la littérature, notre penseur dénicheur de dénégation, s’attaque frontalement au mythe Sade dans « la passion de la méchanceté », et sous-titre son ouvrage : sur un prétendu divin marquis. L’avantage est qu’Onfray plante le décor dès le début de son essai. Sade était certes un écrivain, mais il était aussi et surtout un délinquant sexuel. Les deux étant d’autant plus intimement liés qu’il écrivait et décrivait la réalité de ses pratiques, il parait dès lors délicat de faire l’exercice de faire de l’écrit une sorte d’allégorie ex-nihilo disant autre chose que ce qu’il dit. Trouverait-on logique de commenter « Mein Kampf » sans le rapprocher des camps de la mort ?

« Qui consentirait qu’au nom de ce statut d’extraterritorialité du texte on dissocie Mein Kampf d’Auschwitz ? Les mots pèsent ; la littérature pas plus que la philosophie ne sont des jeux d’enfants sans conséquence. » (La passion de la méchanceté : Sur un prétendu divin marquis – Michel Onfray - ISBN-10: 2746739550 - Page 118) La littérature a à voir avec la réalité, Onfray le clame. Si ce n’était pas le cas, pourquoi « bagatelle pour un massacre » de Céline ne serait pas publié dans la Pléiade, comme l’est l’œuvre de Sade ? Dès le début, Onfray compare Sade à la nazi Ilse Koch. En décrivant simplement le comportement de cette femme qui jouissait de la souffrance de l’autre, l’organisait avec le plus grand arbitraire, mettait en scène l’humiliation, se faisait fabriquer des abat-jour avec de la peau humaine, etc. Onfray met en évidence la stricte mise en application de la narration de Sade. Parti de ce constat et de la réalité de la vie de Sade, véritable prédateur sexuel, Onfray va décortiquer la construction du mythe construit par les uns et les autres. Mais il va aussi nous laisser à la fin de l’ouvrage avec un nouveau mythe fraîchement construit, celui d’un Sade symbole du contraire de tout ce à quoi est attaché le penseur de Caen : les Lumières… Je suis heureux, je viens de terminer le dernier livre d’Onfray sur Sade, et je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui. Cela me rassure d’avoir encore quelques divergences avec le philosophe antichrétien… Onfray aurait donc encore quelques mythes à déconstruire, ceux qui l’ont construit, on s’en réjouit, cela nous fera de la lecture en perspective.

Comment fut bâti le mythe du divin marquis ?

La construction de ce mythe pourrait être chantonné par un Gavroche sur les barricades du terrorisme intellectuel : si on fit de Sade un libertaire, c’est la faute à Apollinaire, un héraut de l’érotisme, la faute à Foucault ! Onfray ne peut le taire. Il y eut plusieurs couches, plusieurs responsabilités, dans la construction du mythe du divin marquis jusqu’à l’enseigner dans les universités, et le pléïadiser. « Tous communient dans le commentaire livré par la cléricature littéraire – Apollinaire pape des lettres » (Ibid - page 106) et plus personne ne lit le texte de Sade, plus personne ne lit le catalogue d’abominations… Et ce qui est formidable, c’est tout ce que l’on dit désormais de Sade devient faux, il n’y a plus que l’adjectif retenu dans la langue commune et issu du patronyme du prédateur sexuel écrivant, qui soit vrai : sadique. Le peuple a du mal à se mentir… Onfray descend toutes les légendes construites une à une en rappelant soit la vérité de l’écrit, soit la vérité de la vie de Sade. Sade abolitionniste selon Apollinaire ? Non, simple opportunisme de la dernière heure quand il risque la guillotine, mais Sade jouisseur du spectacle de la peine capitale oui, par écrit et dans sa vie. Sade spécialiste des pathologies sexuelles bien avant que n’arrive l’heure de Freud (selon Apollinaire encore) ? Non, mais Sade, modèle de sadique pathologique oui. Sade, victime de l’arbitraire du pouvoir, victime des ennemis de la liberté selon Bataille ? Non, mais Sade coupable de violence et de crimes et d’apologie de la violence et du crime. Onfray devrait peut-être souffler à Valls que le sadisme n’est pas une pensée mais un délit… Un marquis chantre de la vertu selon Lacan ? Non, mais un Sade simplement violeur récidiviste. Sade grand justicier social selon Barthes, rapproché dans une glose magique de Loyola ? Non, mais Sade aristocrate abusant des privilèges conférés à sa classe. La construction du mythe autour du sadique marquis est énorme, et cela passe. On continue d’étudier avec le plus grand sérieux les écrits orduriers d’une ordure incitant à l’être, on continue les expositions parisiennes pour bourgeois pseudo littéraires concupiscant et libidineux à grand renfort d’affichage dans le métro en 4 par 3, et il a donc fallu attendre Onfray pour nous libérer de ce mythe et nous autoriser à ne plus faire comme si ce Mein Kampf pour érotomane était inattaquable.

Comment Onfray bâtit le mythe du Sade-symbol féodal ?

Maintenant que nous avons rendu grâce à Onfray, notre philosophe resté libre malgré sa construction intellectuelle dans le camp du bien, il faut se permettre de se distinguer de lui. En effet, après avoir déconstruit le mythe du divin marquis pétri de subtilités intellectuelles, morales et esthétiques, voilà qu’Onfray tente de nous faire avaler le mythe d’un écrivain féodal, et même d’un avatar judéo-chrétien, nous empêchant par là même d’épouser véritablement le doux éros libertaire et contractuel prôné par le philosophe de Caen.

« Ce révolutionnaire en peau de lapin est un authentique penseur féodal, un théoricien de l’ancien régime dont il est le philosophe emblématique. » (Ibid - Page 62)

« … le marquis de Sade qui fut incontestablement un philosophe féodal, monarchiste, misogyne, phallocrate, antisémite, dont l’existence fut celle d’un délinquant sexuel… » (Ibid - Page 31)

On goutte le rapprochement entre féodal, monarchiste et les autres adjectifs qui relèvent de la dialectique pour les assimiler. Alors Onfray qualifie Sade de symbole du monde féodal, au sens où, pour Sade, le mal fait partie des privilèges d’un homme de son rang. Jouir de faire souffrir, et même jouir en dépit du bon sens, fait partie des privilèges que la révolution a abolis. Je dirais plutôt : étendus. La révolution, ce n’est pas la suppression de Versailles, c’est Versailles pour tous. La Révolution n’a d’ailleurs pas aboli l’abus de privilèges dont usaient certains mais instauré l’abus de pouvoir permanent. Et pour s’amuser avec la pensée d’Onfray, on pourrait dire que la révolution a permis d’étendre le privilège de jouir du mal à tout le peuple, et surtout aux commissaires de la révolution, aux membres des comités de quartier qu’un acte d’anthropophagie au cœur de la liesse révolutionnaire ne répugnait pas vraiment…

Que Sade ne soit pas un révolutionnaire ou un philosophe des Lumières, je l’accorde volontiers à Onfray. Que Sade soit attaché à l’ancien régime aussi. Qu’il marque la fin de l’ancien régime en négatif comme Gilles de Rais la fin du Moyen-âge, pourquoi pas, symbole n’est pas mythe. En revanche, en faire un modèle de l’ancien régime, et même un avatar judéo-chrétien, c’est un peu fort. Cela relève pour moi de la création d’un mythe de substitution. Sade était royaliste quand il fallait l’être pour préserver son statut et ses intérêts, il fut révolutionnaire quand il fallait l’être pour préserver sa tête. Mais ce n’est pas un féodal, c’est un vulgaire bouffon de collabos. Sade aurait été collabo en 44 et chantre de l’épuration en 45, c’est tout.

Sade considère l’autre non comme une personne mais comme un sextoy on dirait aujourd’hui, c\'est-à-dire un objet sexuel, un objet à jouir. Je ne vois pas bien le lien avec les sujets du roi, notion de personne humaine sous la protection de. Si on considère le mythe du citoyen créé à la Révolution, cet individu dépouillé de la dignité de personne pour être un organe du système, une arme de défense de la République, de la vulgaire chair à canon ou à voter ou à consommer selon les périodes… La jouissance n’est pas une composante de la République, en revanche le fait de devenir citoyen à la Révolution, de s’affranchir d’être sujet du roi, n’empêche absolument pas de devenir objet, et même parfois objet de culte de la République…

Par ailleurs, que l’on puisse rapprocher le sadisme d’une religion, il y a une part totalement vraie. Ou plus exactement, on pourrait le rapprocher d’une liturgie, comme beaucoup d’autres choses de ce monde néanmoins. Il suffit d’identifier le Sacrifice, le prêtre et la divinité et c’est gagné. Sade n’échappe pas à cette analogie. Sacrifice il y a, grand prêtre, l’écrivain l’incarne très bien, quant à la divinité, ce n’est pas compliqué d’identifier cette fameuse mère nature dont l’être même est cruauté. Si le Sadisme est une religion, avec ses rites, ses sacrifices, ce dont il est le plus proche est tout simplement le satanisme. Que les consommateurs partis faire les soldes soient dans un acte liturgique à la communion collective évidente, ne fait pas de la société de consommation un avatar judéo-chrétien… Ou alors tout est judéo-chrétien et je peux facilement y souscrire au regard de l’universalisme auquel je crois. Si Onfray glisse dans ce terrain, c’est pour nourrir sa thèse d’une chrétienté glorifiant la souffrance (« Mais le temps est venu d’en finir avec la religion des corps maltraités » page 181) et trouvant ainsi un point commun avec Sade. Sauf que pour les Chrétiens, la souffrance librement offerte sauve, alors que pour Sade, la souffrance imposée à l’autre fait jouir. Avoir un rapport opposé aux choses ne rapproche pas spécialement. Que Sade ait un rapport radicalement différent de l’Eros qu’Onfray ne fait pas d’Onfray un avatar du sadisme…

Onfray rendu aveugle par les Lumières

A travers son livre, et la déconstruction du mythe du divin marquis, Onfray découvre le fonctionnement de la modernité, le fonctionnement de l’esprit révolutionnaire même, et surtout sa dernière ruse qui consiste à dire le contraire de la vérité en disant que c’est la vérité. Il s’étonne que l’on fasse passer le marquis pour le contraire de ce qu’il était et qu’on lui fasse dire le contraire de ce qu’il a écrit. Inverser sa narration, refaire l’histoire, créer des mythes et inverser les définitions, voilà bien toutes les ruses éculées de la modernité. Toutes ces ruses qui firent du politiquement correct un terrorisme ! Dans un pays où avorter ou euthanasier est un acte de charité, où au contraire vouloir sauver la vie d’un enfant à naître ou d’un handicapé relève de la barbarie, il ne faut pas s’étonner que Sade devienne un humaniste… Onfray serait il encore naïf, lui manque-t-il une grâce quelconque pour être définitivement déniaisé ? Il démonte les mythes littéraires, traque le processus de dénégation partout. Mais il lui faudrait démonter le mythe des Lumières, de la révolution et de la modernité.

Le trouble du raisonnement d’Onfray est ancré dans son anticatholicisme et même antichristianisme. Il faut toujours, à un moment, qu’il continue de combattre sa bête noire, et surtout éviter de se retrouver à coudoyer la religion dans son combat intellectuel. Pour Onfray, une des raisons pour lesquelles Sade n’était pas révolutionnaire est qu’il n’aimait pas les pauvres. Ah bon ? Parce que la révolution est du côté des pauvres ? Mais on croit rêver ! La souffrance a toujours été un blasphème en République, les indigents sont moins que des sujets, et moins que la chair à canon appelée Citoyens.

Onfray cause comme si aucun mal ne pouvait sortir des Lumières. Si Sade n’est pas un philosophe des Lumières et sa filiation à l’époque avec Rousseau complètement construite pour faire le mythe, j’y consens complètement. Néanmoins, la lecture que nous pouvons faire aujourd’hui ne les éloigne pas tant que ça. Sade le dit lui-même, l’homme est mauvais de nature, ce qui peut l’éloigner de sa nature cruelle, c’est la culture. Et Rousseau condamne également la culture, sauf que pour lui la nature de l’homme est bonne et non criminelle. Ce qui les rapproche n’est pas leur rapport inversé vis-à-vis de la nature, mais leur attitude commune vis-à-vis de la culture. Les deux condamnant la culture me donnent une lecture d’un continuum de l’humanisme, que les hasards de l’histoire littéraire ont fait se côtoyer en terme de dates. Et si en commençant par faire du Rousseau, on se retrouvait systématiquement à faire du Sade ? Si la bonne et niaiseuse intention de construire un bon sauvage en l’éloignant de la culture nous amenait à disposer d’un barbare prenant ce dont il veut jouir avant de le supprimer… Si Rousseau menait inéluctablement à Sade et les Lumières inéluctablement aux camps. Je suis persuadé de l’existence de ce continuum, de cette filiation dans les humanismes. Les meilleures preuves furent peut-être les violences révolutionnaires immédiates qui se sont déroulées dans les 7 jours qui suivirent le 14 juillet. Et je n’ai pas l’habitude d’évoquer BHL n mais soulignons qu’en 1977, dans la barbarie à visage humain, il fait le procès non seulement du communisme et du socialisme, mais de tout le progressisme qui promettant des lendemains qui chantent finit toujours par accoucher de la mort absolue.

En conclusion, déconstruisons Sade avec Onfray, mais au passage n’oublions pas d’ouvrir une brèche dans le mur inattaquable des Lumières. Merci cher Michel Onfray de m’avoir permis cette fois de ne pas être complètement d’accord avec vous, j’avais peur de filer un mauvais coton et de virer humaniste…


Onfray décortique Don quichotte le dénégateur
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Lélian déboulonne Onfray
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Onfray, l’homme qui avait toujours raison
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